La presse sous contrôle

Avec la perquisition des locaux du magazine « Auto Plus » et la mise en examen d’un de ses journalistes, la question de la protection des sources resurgit.

Christophe Kantcheff  • 24 juillet 2008 abonné·es

Une perquisition, une garde à vue, une mise en examen. Les autorités judiciaires ont sorti le grand jeu à l’encontre du magazine Auto plus. Son crime ? Avoir publié, en juillet 2007, des planches-photos et des plans de la future Mégane 3 et de la Twingo 2 CC, ce que la firme Renault n’a pas supporté, portant plainte illico contre X. Les faits ont beau remonter à un an, Auto plus a été perquisitionné le 15 juillet 2008, avec saisie de photos et de disques durs, tandis que l’un de ses journalistes, Bruno Thomas, a subi une garde à vue de 48 heures – la durée légale maximale – avant d’être mis en examen, notamment pour « révélation du secret de fabrique », c’est-à-dire pour espionnage industriel, et placé sous contrôle judiciaire. Même si la société Renault prétend qu’elle n’a rien contre le magazine, mais qu’elle veut connaître l’identité du « fuiteur » et « protéger » ses secrets et sa propriété industriels, la question de la protection des sources des journalistes est évidemment au cœur de cette affaire.

Celle-ci en rappelle d’autres, qui ont ces derniers temps une fâcheuse tendance à se répéter. On se souvient de la mise en examen de Guillaume Dasquié, en dé­cembre 2007, pour avoir publié dans le Monde des notes confidentielles de la DGSE. Mis sous pression pendant sa garde à vue, il avait dû livrer l’identité d’une de ses ­sources. L’année précédente, c’est Midi libre qui avait été perquisitionné pour avoir rendu publics des extraits d’un rapport de la chambre régionale des comptes mettant en cause la gestion de Jacques Blanc, l’ancien président UMP du conseil régional du Languedoc-Roussillon. Tandis qu’en 2005, cinq journalistes, de l’Équipe et du Point , avaient été mis en examen pour avoir révélé des cas de dopage dans l’équipe Cofidis lors du prétendu Tour de France « propre » du Centenaire, en 2003.
Contre les perquisitions, l’Équipe et le Point ont entamé des procédures, qui se sont soldées devant la Cour de cassation par un échec. En revanche, l’affaire est aujourd’hui devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’est pas en reste quand il s’agit de condamner l’État français en matière de liberté de la presse, dont « l’une des pierres angulaires » , selon les magistrats européens, est précisément le secret des sources.

Est-ce pour cette raison que la France a ouvert le chantier d’une nouvelle législation en la matière, l’actuelle se révélant fort archaïque ? Las ! Le projet de loi, présenté en première lecture devant l’Assemblée nationale le jeudi 15 mai par Rachida Dati, ministre de la Justice, et Christine Albanel, ministre de la Culture, et adopté par les députés, a été l’objet de critiques acerbes, et jugé même régressif par nombre de professionnels. Contrairement à une récente loi belge, qui interdit les perquisitions, les mises sur écoute ou les saisies de disques durs, et reconnaît le droit aux journalistes de taire leurs sources, n’étant tenus de les divulguer que dans des cas exceptionnels pour protéger « l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes » et quand ces informations ne peuvent être obtenues « d’aucune autre manière » , le projet de loi français affirme certes que « le secret des ­sources des journalistes est protégé » , mais il ajoute qu’il « ne peut y être porté atteinte que si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations rendent cette atteinte strictement nécessaire ».
Cette dernière disposition est évidemment une porte ouverte à toutes les interprétations, d’autant que les dossiers sur lesquels ­enquêtent les journalistes dont les sources sont sensibles sont rarement anodins… Conscients peut-être de ces faiblesses, les membres de la commission des lois du Sénat, devant lequel le projet sera présenté à l’automne, ont formulé des amendements pour l’améliorer. Mais ceux-ci laissent encore les journalistes sous l’emprise de la subjectivité des magistrats.
La République française a décidément encore des progrès à faire en matière de liberté d’expression. Et, pendant ce temps, Bruno Thomas, d’ Auto plus, risque tout de même cinq ans de prison, selon les textes, pour avoir simplement fait son métier.

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