Le fichage ADN divise toujours

La polémique sur les tests génétiques pour les candidats à l’émigration ressurgit alors que Brice Hortefeux multiplie les déplacements en Afrique et en Asie.

Ingrid Merckx  et  Maïram Guissé  • 3 juillet 2008 abonné·es

« Tests de la honte », « fichage génétique », « non-sens éthique », « disposition discriminatoire », « précédent redoutable », « conception génétique de la famille »… Le 12 septembre 2007, à la commission des lois de l’Assemblée, l’amendement Mariani prévoyant d’instaurer des tests ADN pour les candidats à l’émigration, en vue de limiter le regroupement familial, déclenche une controverse qui va rebondir tout l’automne, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières.
Ces tests sont « une violation de la liberté individuelle, une atteinte à l’intégrité physique, sans que l’on soit sûr qu’elle n’est pas exempte d’erreur », déclare notamment le président sénégalais, Abdoulaye Wade. Suit une série de navettes avec le Sénat et le Conseil constitutionnel, qui amendent et réamendent le litigieux « amendement ».

Illustration - Le fichage ADN divise toujours


Brice Hortefeux entend lutter contre « la fraude ». Faget/AFP

Finalement, le 20 novembre 2007, la loi sur l’immigration est adoptée avec un article autorisant les tests génétiques. « En cas de doutes sur l’état civil, et s’il est impossible d’établir la filiation par possession d’état, l’agent consulaire saisit le TGI de Nantes, qui se prononce, après investigations, sur la nécessité ou non de faire pratiquer un test ADN, résume la Cimade. Le test se fait s’il y a consentement des intéressés et ne concerne que le lien de filiation maternel. Il est réalisé aux frais de l’État. Le dispositif est mis en place à titre expérimental dans certains pays, pour une durée maximum de dix-huit mois. » Après quoi, la polémique retombe. Pour ressurgir aujourd’hui, alors que le décret d’application n’est pas encore paru.

Pourquoi maintenant ? Deux raisons à cela : au Cap-Vert, où il s’était rendu pour poser le cadre « d’un accord de gestion contrôlée », le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, aurait informé les autorités que l’archipel ferait partie des pays concernés par la phase d’expérimentation des tests ADN. Les autorités cap-verdiennes auraient déclaré avoir « pris note » de cette information et choisi de « ne pas commenter cette décision unilatérale ». « Le Cap-Vert a un état civil consolidé », a rappelé au Monde Arnoldo Lopez, conseiller sur les migrations des affaires étrangères.
Multipliant les déplacements en Afrique et en Asie, Brice Hortefeux défend en même temps son projet de lutte contre l’immigration illégale et un programme d’immigration légale. Deux listes de pays circulent : ceux qui veulent s’engager dans des accords « de gestion concertée des flux migratoires » : Gabon, Congo, Bénin, Sénégal, Tunisie (déjà signataires), Mali, Cap-Vert, Haïti, Tchad, Philippines (en pourparlers). Et ceux qui seraient prêts à expérimenter les tests ADN, et compteraient l’Angola, le Bangladesh, le Cameroun, la République dominicaine, la Guinée-Conakry, le Ghana, Madagascar, le Pakistan et le Cambodge. Le Cap-Vert figure dans la première mais pas dans la seconde. Y aurait-il eu confusion ?

Deuxième raison : un article paru sur le site Médiapart concluant avant l’heure à un nouvel avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) défavorable aux tests ADN. Le CCNE a publié en octobre 2007 un premier avis où il rappelle que les tests ADN font de la filiation génétique « un facteur prédominant, en contradiction avec l’esprit de la loi française ». Dans ce texte, pour lequel il s’est auto-saisi, il s’inquiète aussi de « l’inscription dans la loi d’une identification biologique réservée aux seuls étrangers » . Saisi cette fois par une sénatrice à propos du décret d’application de la loi du 20 novembre 2007, le CCNE prépare un deuxième avis sur les tests ADN. Au cabinet de Brice Hortefeux, on fait valoir qu’on attend cet avis avant de soumettre le projet de décret au Conseil d’État. En attendant, le ministre ne ménage pas ses efforts. En tête de ses arguments, a-t-il défendu fin mai au Cameroun, « lutter contre la fraude documentaire » . Selon le quai d’Orsay, 70 % des actes d’état civil soumis aux consulats français pour appuyer les demandes de regroupement familial dans ce pays sont faux. Six autres pays d’Europe (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Espagne, Grande-Bretagne) pratiquent déjà des tests génétiques au Cameroun. La France devrait y démarrer les siens en septembre, comme dans huit autres pays. Du moins, si le CCNE et le Conseil d’État ne s’y opposent pas.

Société
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