Selon que vous serez puissant…

La Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre le président soudanais. À quand une action contre un ressortissant d’une grande puissance ?

Claude-Marie Vadrot  • 24 juillet 2008 abonné·es

La Cour pénale internationale (CPI), créée par la Convention de Rome en juillet 1998, célèbre cet été son dixième anniversaire par une demande de mandat d’arrêt contre le président soudanais, Omar el-Béchir. Pour « crime contre l’humanité » et « génocide ». Il y a un an, un premier mandat d’arrêt a été lancé contre le ministre soudanais aux Affaires humanitaires, Ahmed Haroun, et contre Ali Kosheib, responsable d’une milice accusée d’avoir orchestré les violences contre les paysans du Darfour.
Un ordre qui n’a pas été suivi d’effet. Ce qui ne saurait surprendre, car la CPI, bien que son existence ait été entérinée par 106 pays, ne se fait aucune illusion sur son efficacité. Ses décisions ne pouvant s’appuyer sur aucune force de police. En outre, ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni Israël, ni les pays du Proche et du Moyen-Orient, à l’exception de la Jordanie, n’ont entériné l’existence de cette juridiction internationale. Et le gouvernement américain a passé des accords bilatéraux avec un certain nombre de nations, notamment africaines, pour s’assurer que ses ressortissants y seraient à l’abri des poursuites de la Cour internationale.

Comme le Soudan n’a ni signé ni ratifié le traité de la CPI, la mise en œuvre du mandat dépend des magistrats de la Cour et peut être suspendue par le Conseil de Sécurité pendant un an. Au-delà des déclarations des uns et des autres, et malgré l’appui, réitéré en juillet, du secrétaire général des Nations unies, les magistrats, installés après bien des tractations, savent qu’ils ont plus de chances de parvenir à leurs fins avec des troisièmes couteaux ­qu’avec des chefs d’État ou de gouvernement. La CPI n’a guère de possibilité de sortir du rôle de bonne conscience universelle qui lui a été assigné, de guerre lasse, après une longue gesticulation de la diplomatie internationale. Laquelle lui a même refusé un amendement de l’article 8 prévoyant que soient éventuellement poursuivis les crimes écologiques, les atteintes concertées des belligérants à la nature ou à l’environnement.

Outre qu’il faudrait savoir si, réellement, l’accusation de « génocide » peut s’appliquer à ce qui s’est déroulé et se déroule encore au Darfour, l’attention qui se porte sur cette région a de fortes connotations pétrolières et masque mal un conflit entre les États-Unis et la Chine. Ce n’est pas par hasard que les Chinois viennent d’envoyer 300 militaires renforcer les forces des Nations unies et de l’Union africaine, dont il est patent qu’elles servent plus à positionner des pays dans les conflits en cours qu’à protéger les populations ; conflit dans lequel Bernard Kouchner joue les utilités depuis qu’il est ministre des Affaires étrangères. Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, est donc soit un naïf égaré dans la politique internationale, soit aveuglé par son succès dans les poursuites contre son compatriote, le général Videla, l’ex-dictateur argentin.

Premiers résultats de la demande du procureur argentin : les Nations unies ont commencé à évacuer une partie de leur personnel, et l’Union africaine, qui proteste, a publiquement exprimé l’espoir que les trois juges de la CPI, qui disposent d’un délai de trois mois pour entériner ou rejeter la demande du procureur, feront « preuve de sagesse ». Clairement, ce dernier est accusé de « compromettre les efforts visant à établir une paix durable dans la région ». Une remarque qui sous-entend que les efforts de la Cour internationale se bornent à vouloir juger uniquement des crimes de guerre commis en Afrique. Cette accusation s’appuie sur une réalité difficilement contestable : les douze mandats d’arrêt, depuis sa création, concernent des Africains, et les quatre personnes actuellement incarcérées sont également ­africaines. « Selon que vous serez puissant ou misérable… »
La CPI n’échappe pas aux travers que dénoncent les organisations de défense des Droits de l’homme, en tentant de faire semblant de poursuivre les « puissants » tout en concentrant ses efforts effectifs sur les exécutants du Congo ou de la République centrafricaine. Les États-Unis veillent pour que la Cour se mêle de ce qui la regarde sans créer de précédent concernant les chefs d’État, et ils peuvent compter sur la Chine pour leur donner un coup de main. Autre juridiction internationale, le Tribunal pénal international de La Haye n’échappe pas à ce reproche. Il héritera dans quelques jours de Radovan Karadjic, ultranationaliste serbe, en partie responsable du massacre de Srebrenica, en 1995. C’est une bonne chose. Il n’empêche que cette justice reste une « justice de vainqueurs ».

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