Courrier des lecteurs Politis 1026

Politis  • 13 novembre 2008 abonné·es

Silence ! Un peuple meurt

De retour de deux semaines en Palestine avec la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), dormant dans les maisons des familles, affrontant l’armée et les colons avec elles, j’ai écrit ces quelques lignes, qui me semblent moins fortes que je l’aurais voulu… J’espère qu’avec plus de recul (bien que je sois marqué à vie), je ferai mieux.

« Je vivais dans un village en Palestine ; du toit de notre maison, il y avait une belle vue. On y voyait si bien les autres maisons du village qu’un jour des soldats israéliens sont venus sur notre toit pour tirer une balle dans la tête d’un voisin. Du toit de notre maison, on voit les collines tout autour du village. Au sommet de chaque colline, il y a une colonie. Dans ces colonies, habitent des gens qui ne nous aiment pas. Ils descendent régulièrement jeter des pierres sur nous, les enfants, et aussi sur les adultes, tout en criant des gros mots, leurs visages tordus de haine. L’autre jour, un adolescent israélien a battu à mort un vieux monsieur palestinien, sous les hourras et les bravos de ses semblables. La nuit, ils entrent dans nos oliveraies voler du matériel et des olives, et saccager des arbres. Ils nous traitent de “sales Arabes”. Nous serions peut-être moins “sales” si l’armée n’avait pas cassé tous les systèmes de chauffe-eau solaire sur nos toits, nous aurions encore de l’eau chaude. Même l’électricité, que nous vendent très cher les Israéliens, est coupée régulièrement, à tout moment du jour ou de la nuit, rien que pour nous embêter. Quand je demandais à grand-papa pourquoi ils sont ainsi, il m’a répondu que ce n’était pas comme ça du temps de ses parents – que les Palestiniens, qui sont musulmans pour la plupart, ont vécu paisiblement pendant des milliers d’années à côté de ces gens qui n’ont pas la même religion que nous… Avant que je ne sois née, il n’y avait pas de colons, ni de colonies. Nous avions nos oliveraies et nos champs de céréales, de légumes, etc., irrigués de nos sources d’eau, autour de nos villages. Aujourd’hui, ces sources d’eau appartiennent aux Israéliens, qui nous vendent cette eau très cher. S’il y a une colonie entre le village et nos champs, ou même à côté, nous sommes obligés de faire des détours ; un trajet qui prenait vingt minutes dure au moins deux heures maintenant. Même la route qui mène à notre village est coupée à 500 mètres du village, nous obligeant à faire un détour de 20 kilomètres. Au fur et à mesure que nos terres se rétrécissent, nos cimetières s’agrandissent. Il n’y a guère de famille qui n’ait pas perdu un parent, tué par l’armée ou par des colons. Encore moins de famille qui n’ait un parent en prison.
J’avais 10 ans quand un soldat m’a tuée d’une balle dans le dos. Je sortais de l’école avec sur le dos mon cartable, que le soldat “a trouvé suspect”. »

Cette histoire est un assemblage de faits. Tout ce qui est raconté est vrai, mais vous n’êtes pas obligés de croire ces lignes. Vous pouvez aller sur place, en Palestine, constater de vos propres yeux ce que vous ne lirez jamais dans la presse. Vous pouvez aussi lire des témoignages sur www.protection-palestine.org, le site de la CCIPPP.

William Peterson, Gère-Bélesten (Pyrénées-Atlantiques)

Le fond est dans la forme

Jeudi 16 octobre, je me suis rendu à Méricourt (Pas-de-Calais) pour une soirée que l’association « Pour Politis 62 » organisait. Cette soirée a été riche et prometteuse, elle m’a confirmé que l’initiative de l’appel de Politis était bienvenue et à promouvoir. J’ai été surpris lorsque les participants du Pas-de-Calais ont rendu compte de la manière dont s’est déroulée la journée du 11 octobre à Paris. Ils ont expliqué que des tribuns, dont ils vantaient les qualités, se sont succédé à la tribune devant un parterre d’auditeurs. La forme de cette rencontre m’a surpris, choqué même. Cette forme d’échange reproduit la culture dominante instituant une coupure entre l’élite qui tient le discours (économique, politique, culturel, religieux, révolutionnaire même…) et le grand nombre, invité à écouter cette élite experte. Occasionnellement, dans des formes convenues, un petit nombre du grand nombre a le droit de poser des questions. Elle reproduit cette approche du politique où « le peuple souverain » est invité, à intervalles réguliers, à voter pour celui qui aura su le mieux le séduire par son discours électoral. Cette forme permet, dans le meilleur des cas, de choisir entre des pensées pré-élaborées par une élite, dans le pire, de choisir le plus démagogue. En tout cas, elle ne permet pas de construire de la pensée collective. Elle reconduit le rapport au politique que les citoyens boycottent ou rejettent : ce rapport où chacun n’est pas invité à s’exprimer sur le monde qu’il souhaite, mais à choisir entre des visions pensées par d’autres que lui. Politiquement, cela conduit à laisser le pouvoir aux élites, à protéger leurs intérêts et ceux de leurs alliés, et à laisser le grand nombre floué. La construction d’une nouvelle force politique nécessite d’inventer une nouvelle culture politique et les formes qu’elle peut prendre. Il s’agit de changer le rapport entre ceux qui pensent et ceux qui suivent, repenser une démocratie plus large qu’un jeu d’addition. Cela nécessite obligatoirement une autre manière de s’organiser pour penser le politique : permettre l’expression de chacun, l’écoute de tous, le choc des idées et la production des représentations nouvelles qui naîtront de ces échanges. Des méthodes pour réfléchir ensemble, y compris en grand nombre, existent, il faut les utiliser et commencer tout de suite. Notre projet, pour réussir, ne peut pas se limiter à changer les étiquettes de partis, à changer le personnel politique ou les élites pensantes. Il faut changer la manière de produire la pensée et, pour cela, il convient de revoir les formes des échanges. Aussi faut-il se hâter lentement à revoir notre organisation car l’écoute prend du temps, et l’apprentissage se fait par essais et erreurs. Militant d’éducation populaire depuis trente-cinq ans à Culture et Liberté, depuis six ans à Attac, c’est à cette tâche que je m’attache. Je pense que l’Appel de Politis et d’autres initiatives peuvent contribuer à créer une lame de fond révolutionnaire. Notre pays, notre Europe, notre monde en ont besoin.

Paul Masson, Arras (Pas-de-Calais)

Sarkozy et Obama

Nicolas Sarkozy salue l’élection de Barack Obama. Quel est le sens de ce geste ? Sans doute l’Obama fils d’immigré et avocat confortent-ils Sarkozy dans son image d’outsider, sans doute l’Obama rassembleur du parti démocrate galvanise-t-il le Sarkozy « rénovateur » de l’UMP, et l’Obama charismatique séduit certainement un Sarkozy plutôt mal aimé des sondages d’opinion, mais convaincu des bienfaits du marketing communicationnel. C’est certainement à cet Obama-là que s’adresse le président français, car pour tout ce qui touche à la politique, notre chef de l’État est plutôt un héritier de Bush et de McCain. « America First », le slogan de McCain, dont le pendant serait « La France d’abord », fait parfaitement écho à « La France qui gagne » de Sarkozy. La hargne, le volontarisme forcené, le goût immodéré du pouvoir personnel, l’esprit de clique, le cynisme de Sarkozy appartiennent à l’héritage républicain de la droite conservatrice américaine. La paranoïa sécuritaire et la culture du coup de force immédiatement affichées après la première élection de Bush, en quelque sorte image de marque de la droite revancharde, ont été reprises par Sarkozy et affichées avec le même mépris de classe impérial. L’affichage désinvolte de la collusion avec les riches et les puissants, avec les intérêts des grands groupes, la liquidation des services sociaux et la culture de l’individualisme débridé appartiennent à Bush autant qu’à Sarkozy. Lorsque Nicolas Sarkozy salue l’élection d’Obama, soit il est cynique comme Bush et pense que la seule voie possible est la sienne (« Tu vas en avaler, des couleuvres, mon ami »), soit il se dit que le vent a tourné et qu’il est temps de changer de discours. La vérité est sans doute au milieu, mais ce qui compte, avec Sarkozy, ce n’est pas ce qu’il dit ou ce qu’il se dit, mais ce qu’il fait. Et pour ce qu’il fait, il ne changera pas tellement, simplement il va s’appliquer à nous l’accommoder désormais à la sauce Obama.

Ezra Nahmad, Paris

Le droit de réussir à l’école

Lorsqu’un maître d’école a tout essayé pour aider un enfant en difficulté, lorsque le soutien scolaire ne suffit pas, il existe une solution : le Réseau d’aides spécialisées pour les élèves en difficulté (Rased). Il s’agit d’équipes de maîtres spécialement formés aux aides pédagogiques adaptées (maître E), rééducatives (maître G) et psychologiques (psychologues scolaires).
Ces maîtres sont également personnes-ressources auprès de leurs collègues et des familles… ce qui est essentiel, le croisement des regards conditionnant une approche plus fine et plus juste des problèmes. Leurs compétences sont différentes de celles des maîtres non spécialisés et les complètent.
Les réseaux travaillent aussi en prévention, dès la petite section de l’école maternelle, évitant l’installation de difficultés. Ce repérage et les prises en charge spécifiques se font gratuitement au sein de l’école.
Ce dispositif, dont le bon fonctionnement est déjà altéré par le manque de moyens en personnels, est maintenant menacé dans son existence même par des décisions d’économies à court terme, qui se révéleront beaucoup plus coûteuses à moyen et long termes. […]
Dans toutes les écoles, des enfants ont besoin d’aides spécialisées : la difficulté à apprendre, la misère affective, la maltraitance font souffrir, et ce dans tous les milieux sociaux. Aider un élève, c’est aider une classe à l’intégrer, c’est aider un maître, une équipe, une famille.
« Si on considère que chacun des 7 000 maîtres E et G de Rased sauve chaque année du désastre ne serait-ce que 10 gamins de cycle 2, c’est 70 000 enfants qui, au lieu d’être soustraits à l’échec scolaire, seront bientôt pratiquement abandonnés à leur sort » , estime André Ouzoulias [^2].
Nous sommes actuellement en formation à ces métiers que nous avons choisis, en nous engageant pour ces enfants. Nous alertons ceux qui pensent comme nous que tous les enfants ont le droit de réussir à l’école. Nous appelons à réagir avec toute la force de nos moyens !
Dans deux mois, il sera trop tard, les projets ministériels seront soumis au vote des parlementaires.

Des maîtres E et G en formation à l’IUFM de Paris

La Marseillaise

Comment est-il possible que personne ne réagisse contre le texte de notre hymne national : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons… » ?
Il y a des années, avec quelques amis, nous avions écrit au président Chirac pour attirer son attention sur ce texte scandaleux et sur la nécessité de demander à des écrivains de proposer un autre texte sans changer la musique.
Nous avons reçu une réponse très officielle de l’Élysée, sur papier à en-tête : « Impossible de changer un texte qui est dans la Constitution ! »
Changer certains points de la Constitution, on en parle pourtant de nos jours…
Je maintiens qu’il est scandaleux de faire chanter ces paroles !

Geneviève Guilhem, Vélines (Dordogne)

[^2]: Professeur à l’IUFM de Versailles, département philosophie, épistémologie, psychologie, sociologie et sciences de l’éducation.

Courrier des lecteurs
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