Les droits du vainqueur : la punition collective

Didier Ménard  • 12 novembre 2008 abonné·es

Éric Woerth, ministre UMP du Budget, explique le 22 janvier au journal le Figaro ce que va être la lutte contre la fraude. Il explique que les fichiers des différentes institutions qui instruisent des prestations sociales vont être croisés. Que la CMU ne sera délivrée que pour trois mois, le temps de faire une vérification supplémentaire sur la réalité des ressources des bénéficiaires. Que les médecins pourront utiliser la télétransmission pour informer la caisse d’assurance-maladie quand ils délivreront un arrêt de travail de moins de huit jours, afin de pouvoir contrôler plus vite l’assuré social.

C’est donc à la tête de la délégation interministérielle contre la fraude que ce ministre part en guerre contre les fraudeurs. Précisons tout de suite que cette guerre est sélective. Elle ne vise pas à lutter contre la fraude des délits financiers, des pertes d’argent induites par des décisions politiques comme le Dossier médical personnel créé par la réforme de Philippe Douste-Blazy en 2004, et qui a déjà coûté plusieurs dizaines de millions d’euros à la collectivité. De même, cette brigade antifraude ne s’occupera pas de tous les dysfonctionnements des services de l’État qui gaspillent l’argent du contribuable. Non, l’ennemi est bien ciblé : c’est le pauvre. Ce sont toutes les personnes qui, de par la loi, sont bénéficiaires d’un droit auquel s’attache une prestation.

Comme avant toute offensive guerrière, la propagande se déchaîne, elle consiste à faire croire aux Français qu’une grande partie des déficits sociaux est due à la fraude, c’est-à-dire aux prestations indûment perçues par des faux pauvres, qui s’organisent en bandes pour escroquer le bien commun. Ensuite, il suffit aux médias de révéler quelques affaires actuelles, et la propagande semble légitime. Ajoutez à cela que le pauvre qui traficote n’est pas tout à fait français d’origine et vous mêlez à cette propagande de la xénophobie, il faut bien satisfaire une partie de son électorat. Certes, il est certain qu’il existe des fraudeurs, qui inscrivent leurs méfaits dans le cadre de la grande délinquance, et face à cette délinquance, qui n’est pas nouvelle, il existe des forces de police qui font leur travail. Quant aux fraudes visées par la brigade antifraude, nous savons, car toutes les enquêtes le démontrent, qu’elles sont marginales. Elles ne représentent même pas le budget que va coûter la mise en place de la délégation antifraude. En revanche, nous savons déjà que cela va induire des dépenses supplémentaires pour différentes institutions comme, par exemple, l’assurance-maladie.

Si la CMU n’est délivrée que pour trois mois, cela risque d’entraîner une rupture dans la continuité des soins. Nous savons déjà que cela aura deux conséquences terribles pour les malades vivant dans la précarité. La première, c’est l’impossibilité de se soigner pour ceux qui ne peuvent justifier de l’ouverture de leur droit à la CMU. Or, souvent, ces personnes consultent dans l’urgence, et le soin doit être délivré rapidement. Et tout démontre que le retard dans l’accès aux soins entraîne un surcoût pour l’assurance-maladie. La seconde, c’est que les personnes, toujours plus nombreuses, finissent par renoncer à faire valoir leurs droits et se détournent des institutions, s’enfonçant ainsi dans l’exclusion. Tout cela est connu de ceux qui s’intéressent à la question sociale. Ce qui n’est pas le cas de M. Woerth.

Pourquoi cet acharnement à opprimer davantage les personnes qui sont déjà dans des stratégies de survie ? Pourquoi organiser la punition collective ? « Il y a des fraudeurs, alors on va punir tout le monde. » C’est un bel exemple d’injustice sociale et une constante de la politique de la droite depuis 2002 de s’en prendre, au nom de l’intérêt collectif, aux plus faibles.

Faut-il avoir tellement peur de la démocratie pour en arriver à réactiver le droit du glaive, qui donne au vainqueur le droit de vie sur le vaincu ?

Politique
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