La fin de l’unanimisme

Marie-George Buffet conserve la direction d’un PCF qui souhaite se maintenir tout en se transformant. Une position d’équilibre mal assurée, qui confirme toutefois la volonté de rassembler aux européennes.

Michel Soudais  • 18 décembre 2008 abonné·es

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Les apparences sont sauves. Rien n’a manqué en final du 34e congrès du PCF pour donner l’image d’un parti heureux et réconcilié. Ni les confettis lancés par les délégués à l’annonce des résultats – une tradition dans les congrès communistes –, ni les chants entonnés a cappella pendant le dépouillement. Entamé avec « le P’tit Quinquin », lancé par la fédération du Nord, poursuivi par « Bella Ciao », « la Jeune Garde » ou « la Butte rouge », le répertoire classique rassemble toutes les sensibilités. De la frondeuse Malika Zédiri à l’orthodoxe Paul Boccara, surprenant interprète de « Fanchon » (« Elle aime à rire elle aime à boire… »).
Pourtant, contrastant avec cette joie bon enfant, c’est les traits tirés et la mine maussade que Marie-George Buffet a accueilli l’annonce de sa réélection. La numéro un communiste, élue secrétaire nationale en 2001 dans le cadre d’une direction bicéphale avec Robert Hue, rempile pour un quatrième mandat à la tête du Parti, qu’elle dirige seule depuis 2002. Mais la « très large majorité » dont se félicite l’Humanité dans son compte-rendu, en net recul par rapport au 33e congrès, témoigne autant d’une défiance que de vues divergentes. En mars 2006, la direction que conduisait l’ancienne ministre des Sports avait été reconduite dans ses fonctions par 91,3 % des délégués. Dimanche, 67,72 % ont approuvé la liste de candidats au conseil national qu’elle emmenait.

Illustration - La fin de l’unanimisme


Marie-George Buffet rempile pour un quatrième mandat à la tête du Parti.
Fedpuach/AFP

Dimanche, l’événement était moins cette réélection sans surprise que la présentation de trois listes alternatives représentatives ­d’orientations politiques divergentes. Dans un parti qui refuse toujours le droit de tendances et va jusqu’à nier leur existence, cette situation marque assurément un tournant. D’autant que les scores obtenus par ces listes, auprès de délégués plus enclins que la base communiste à abonder les choix de la direction, sont significatifs.
Première de ces listes, celle des « transformateurs », menée par Marie-Pierre Vieu, 40 ans, secrétaire fédérale des Hautes-Pyrénées, a obtenu 16,38 % des voix. Soutenue par les « Communistes unitaires », comme les députés François Asensi et Patrick Braouezec, Gilles Alfonsi, Pierre Zarka ou Roger Martelli, mais aussi d’anciennes présidentes du conseil national comme Dominique Grador ou Joëlle Greder, cette liste rassemblait les partisans d’une « métamorphose du PCF conduisant à l’émergence d’une nouvelle force politique » . Très critique, tout au long du congrès, sur l’ « immobilisme », voire le « repli identitaire » de son parti, manifeste par le choix d’exclure du parlement communiste les partisans d’une évolution profonde du PCF, Marie-Pierre Vieu avait justifié la présentation de sa liste par le fait que le congrès avait plus « assumé des reculs » que des avancées. Elle a accueilli le résultat de sa liste, qui aura 29 élus au conseil national, comme un « signe d’espoir » . Et s’est félicitée d’avoir fait mieux que l’addition des deux autres listes alternatives, réticentes ou hostiles à des transformations du PCF.
Le député-maire « orthodoxe » de Vénissieux (Rhône), André Gerin, partisan d’une régénération du PCF qui tourne le dos aux « abandons de la mutation conduite par Robert Hue » dans les années 1990, obtient en effet 10,26 %. Tandis que la dernière liste « identitaire », présentée par Nicolas Marchand, obtenait 5,62 %.

Dans un parti ultralégitimiste comme le PCF, où la direction est systématiquement reconduite, qu’un tiers des délégués au congrès vote contre cette dernière témoigne d’une crise profonde et d’une certaine rébellion. Sans doute y a-t-il dans ce vote une bonne part de défiance à l’égard de Marie-George Buffet. Après son échec retentissant à l’élection présidentielle (1,93 %), la numéro un communiste avait annoncé vouloir quitter la direction du parti. Avant de se raviser récemment, faute d’être parvenue à faire émerger une relève incontestée. Ce week-end, Mme Buffet a annoncé que le parti sera géré par une direction collégiale – elle devait être désignée mercredi par le nouveau conseil national – coanimée par Pierre Laurent, directeur de la rédaction de l’Humanité , véritable numéro 2 du parti. Elle a assuré qu’elle ­n’irait pas au bout de son mandat de trois ans, mais entendait travailler à une transition en douceur. Une promesse dont doutaient certains délégués, rendus méfiants par les virevoltes de leur dirigeante.
Au congrès de 2006, Marie-George Buffet avait été l’avocate inlassable d’un rassemblement antilibéral en vue des élections de 2007. Pour ce faire, elle s’était appuyée sur les « refondateurs » contre les « orthodoxes » et les défenseurs de l’identité du PCF qui refusaient de voir leur parti se diluer, sans aller toutefois jusqu’au bout de la démarche. Ce qui faisait dire à Pierre Zarka que « l’ambiguïté du texte [d’orientation s’était] faite contre les partisans de l’affirmation de l’identité communiste » . Cette fois, c’est sur les craintes de ces derniers qu’elle s’est appuyée pour rejeter toute « métamorphose » du PCF en ­direction d’une force politique nouvelle. Mais aussi défendre une conception moins pluraliste de la direction communiste, minorant ceux qui pouvaient être en désaccord avec l’orientation adoptée.
Sitôt élue, Marie-George Buffet n’a d’ailleurs rien cédé sur ce point : « Je mettrai toutes mes forces dans les mois qui viennent à faire en sorte que le conseil national, au lieu d’être un parlement où on refait le congrès, soit une équipe au service du combat communiste » , a-t-elle promis dans son discours de clôture. Un engagement qui risque d’être difficile à tenir. À cause du nombre d’élus issus des listes alternatives. À cause aussi des ambiguïtés du texte ­d’orientation adopté, samedi.

Olivier Dartigolles a beau dire que « ce n’est pas un texte auquel on peut faire dire différentes choses » , sur deux points au moins le débat n’est pas clos. En décidant de « poursuivre le parti communiste et le transformer » , ce texte adopté à l’issue d’une longue bataille ­d’amendements [^2] tente une délicate synthèse entre la tentation conservatrice et les aspirations réformatrices qui tiraillent le PCF depuis la fin de l’ère Marchais. Synthèse dont l’Humanité reconnaît qu’elle n’est qu’ « un début de réponse ». Car si le texte affirme que « la voie des transformations du PCF apparaît plus féconde que celle de la recherche de la constitution d’un autre parti aux contours incertains » , il ne dit rien de précis sur la « profonde transformation » que le PCF veut engager. Laissant ainsi ouvert le débat et promettant une consultation des ­communistes à chaque étape.
Même la perspective d’un « front progressiste européen » , inscrite dans le texte et approuvée par un vote à près de 80 %, malgré les réserves des inconditionnels des listes communistes « rouge pur » [^3], n’est pas définitivement acquise. Interpellé par un délégué qui demandait de supprimer un passage placé entre parenthèses qui assure que les communistes « décideront par leur vote, comme pour toutes les élections, de ces candidatures » , le rapporteur du texte, Pierre Laurent, s’y est refusé, ouvrant ainsi la possibilité au refus d’une ou plusieurs listes d’union, puisque cette disposition donne aux militants communistes le pouvoir de désigner non pas seulement leurs candidats mais ceux que présenteront d’autres forces politiques.
Le maintien d’un semblant d’unité autour de Marie-George Buffet était sans doute à ce prix. Il ne règle en rien la crise du PCF.

[^2]: Intitulé « vouloir un monde nouveau, le construire au quotidien », il a été adopté par 68,7 % des délégués. Il y a eu 24,06 % de votes contre et 7,23 % d’abstentions.

[^3]: André Gérin se méfie de la volonté qu’il prête à Jean-Luc Mélenchon de créer « un PS-bis » ; Nicolas Marchand appelle à considérer le Parti de gauche comme un « rival » ; les fédérations du Nord-Pas-de-Calais entendent bien présenter une liste clairement communiste.

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