Je suis un ennemi intérieur

Hamé  • 29 janvier 2009 abonné·es

Je suis un ennemi intérieur. J’habite un Laboratoire. Un espace limité aux strictes dimensions d’une expérience. Une cellule surpeuplée, à la périphérie du jour et du fric. Quelques hectares d’antiques champs de luzerne recouverts de ciment froid, barrés d’autoroutes grillagées, plantés de tours à la gloire de l’architecture des cages. J’habite un renfoncement qui se dérobe à la vision du passant ordinaire. Un foyer purulent de la concentration raciale. Un point d’entassement d’hommes voués au travail forcé sous-payé, légal ou pas. Un périmètre où plus qu’ailleurs des cheptels de sous-humanités doivent apprendre à tout accepter : vivre aussi longtemps que les balles de la police les y autorisent, ou mourir tôt d’avoir sué tôt.

Je suis un ennemi intérieur. J’habite un Laboratoire. Une parenthèse hermétique dont la temporalité se confond avec celle de la répression d’État. Une chronologie à part, jalonnée de tous les instruments et techniques possibles du contrôle, du dressage, de la surveillance, déjà homologués ou en cours d’obtenir leur brevet. Chaque nouvelle descente de boucliers casqués est l’occasion d’une débauche de technologies neuves. Un laboratoire a aussi besoin de vitrines, d’une face pointée vers le reste du peuple comme un index dissuasif, comme un appel à se taire et à se ranger du côté de la Force. Pour cela, des journalistes embarqués au milieu des troupes sauront capter le message au plus près du réel, et le mettre en scène pour, prétendront-ils, faciliter la compréhension de leur audience, c’est-à-dire donner à voir ce qu’un cerveau disponible doit retenir du théâtre des opérations. La morale sera sauve, à coup sûr. À l’instar des plus grands propagandistes de l’Histoire, les dirigeants des médias dominants, marchands d’armes et de béton, savent que « c’est l’un des droits absolus de l’État de présider à la constitution de l’opinion publique ». Le vernis est sous contrôle.

J’habite un non-lieu, non daté, non avenu, où tout est permis, testable, expérimentable. En toute impunité. Sans crainte d’avoir à répondre de quoi que ce soit devant quelque instance que ce soit puisque là, au creux de cette parenthèse, les règles civiles communes d’intervention sont abolies au profit de lois militaires : dérogations, état d’urgence, couvre-feu, rafles et comparutions immédiates, législation antiterroriste, quadrillage aérien, etc.
Je suis un ennemi intérieur, j’habite une exception, et suis envisagé comme tel. À même le corps, à même la peau. Ma couleur, mon enveloppe, mon cuir sont le plan physique, la toile tendue, bombardés par tous les dispositifs et régimes d’exception, médiatiques, sociaux, policiers, politiques, juridiques, économiques…

Mais c’est une vérité historique, tous les systèmes produisent les germes de leur contestation, tous les abus créent les armes de leur dépassement. C’est une autre vérité de la vie des États, les démonstrations de force spectaculaires sont aussi des aveux de faiblesse car elles soulignent cette profonde crainte de peut-être ne pas durer.
À force de frapper toujours plus fort, toujours plus large, d’étendre les champs du Laboratoire à d’autres, la puissance répressive d’État clarifie les lignes d’oppositions. Et crée des solidarités de plus en plus puissantes parmi des victimes de plus en plus nombreuses. Il arrive toujours un moment où naissent de véritables fabriques de révolte et de libération collective… des sortes de contre-laboratoires.

Société
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