« À quoi sert le Parti travailliste ? »

Historien de renommée internationale, spécialiste des nationalismes et homme de gauche authentique,
Zeev Sternhell analyse ici les causes du déclin du Parti travailliste.

Denis Sieffert  et  Pauline Baron  • 19 février 2009 abonné·es

Le Parti travailliste israélien, qui fut le parti des fondateurs du pays, vient d’enregistrer, avec 13 sièges, le plus mauvais score de son histoire. Comment expliquez-vous ce qui est plus qu’une défaite, une déchéance ?

Zeev Sternhell : Ce phénomène s’explique par différents éléments. Le Parti travailliste connaît un processus de glissement électoral vers le bas depuis de nombreuses années. En dix ans, il a perdu environ la moitié de son électorat. Mais ce processus est encore plus profond. Ce parti a perdu sa spécificité. Ne possédant aucune réponse véritable face aux problèmes qui se posent dans la société israélienne, il ne parvient plus à convaincre les électeurs du centre gauche. Il n’a ni la capacité de proposer des réponses qui puissent constituer une solution de rechange face à la droite, ni celle d’être à la hauteur des solutions qu’il préconise.

Illustration - « À quoi sert le Parti travailliste ? »

Ehud Barak, leader du Parti travailliste et ministre de la Défense. Tout un programme…
Guez/AFP

Tout d’abord, le Parti travailliste n’a rien fait pour la paix, même s’il en parle beaucoup. Il a apporté la preuve qu’il était incapable de se mesurer au problème essentiel : celui des colonies. La colonisation des territoires palestiniens s’est poursuivie, même sous Ehud Barak, lorsque celui-ci était Premier ministre, en 1999 et 2000, puis ministre de la Défense. Et cela de la même manière qu’auparavant. Il n’y a pas de véritable différence entre la politique menée par un travailliste et une politique menée par le centre droit ou la droite.
Le second élément concerne la politique économique et sociale. Le Parti travailliste ne présente aucune solution de rechange face au néolibéralisme sauvage tel qu’on le pratique dans notre pays. Israël est devenu l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde occidental. Ce parti n’ayant aucune politique spécifique sur le plan économique comme sur celui de la paix, on peut se demander à quoi il sert encore.

Le Parti travailliste fait face à un processus très comparable à celui connu par la SFIO en France à la fin des années 1950 et dans les années 1960. Mais, il n’y a pas de François Mitterrand en vue. Son problème correspond à l’absence de leadership, depuis une trentaine d’années, et à la grande défaite de la gauche en 1977. Jusqu’à présent, il n’a pas été capable de se remettre debout. Le principal responsable est d’abord Shimon Pérès, qui a lui-même glissé vers le centre droit. Non seulement la reconstruction du parti n’a jamais eu lieu, mais elle n’a même jamais commencé. Ce qui fait qu’aujourd’hui on cueille les fruits d’un processus d’autodestruction qui dure depuis pratiquement trente ans.

Est-ce qu’il y a à l’intérieur
du Parti travailliste une force ou un personnage qui vous semblent pouvoir incarner un redressement ?

L’espoir d’un redressement, suscité par l’arrivée d’Amir Peretz, a été balayé par la guerre du Liban de 2006. En outre, l’élite dirigeante du parti lui était opposée et n’a donc pas collaboré avec lui. Parce qu’il était précisément un outsider qui arrivait à la tête du parti, beaucoup ont espéré qu’il remettrait le Parti travailliste dans le droit chemin. Cela ne s’est pas produit. C’est aussi le signe d’une sorte de désespoir. Le parti aurait dû jouer le rôle d’une force d’opposition au Likoud. La grande masse de ses électeurs potentiels n’y croyait pas ; elle a donc voté pour Kadima, le parti centriste. N’oublions pas que le pourcentage de votes est tombé de 80 % au début des années 2000 à 65 %. Ces voix perdues viennent de la gauche et du centre gauche. La droite, elle, continue de voter. Si les électeurs de gauche n’ont pas voté, c’est parce qu’ils ne pensaient pas que la droite aurait une influence sur le rapport de force. En fait, ils ne croient pas à la capacité de la politique de changer la réalité.

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