Des bâtisseurs écolos et solidaires

À Villeurbanne, les membres du Village vertical élaborent un nouveau mode d’accès à la propriété. Ils se constituent en coopérative d’habitants pour acheter un bâtiment et y vivre ensemble.

Philippe Chibani-Jacquot  • 23 avril 2009
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Des bâtisseurs écolos et solidaires
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« On nous impose la propriété individuelle comme une norme » , regrette Chikh Chemman. En opposition à cet axiome, ce Lyonnais s’est mis en quête, avec sa compagne, d’un mode alternatif d’accès à la propriété : « Nous ne voulions pas devenir des “propriétaires” et, d’ailleurs, nos moyens ne nous le permettaient pas. » Ils découvrent l’existence de projets de coopératives d’habitants où des citoyens se regroupent pour concevoir, construire et faire vivre collectivement une forme d’habitat qui réponde à leurs aspirations : écologique, solidaire et libérée de toute forme de spéculation foncière.

Le couple intègre le groupe de dix familles qui forment le Village vertical, projet le plus avancé en France. Un terrain a été cédé par la ville de Villeurbanne sur une zone d’aménagement concerté, les architectes ont été choisis et l’édification est prévue pour 2012. « Chaque ménage sera locataire de son espace privé et propriétaire, avec les autres, du bâtiment, qui est un bien impartageable » , résume Chikh Chemman. La collectivisation de la propriété passe par la création d’une société coopérative, détentrice du bâtiment, dont les sociétaires seront les locataires. La règle « un homme égale une voix » structure la gestion démocratique de l’ensemble.

Dans cette formule, chaque sociétaire apporte l’équivalent de 20 % du coût de construction de son appartement sous forme de capital. Une part des loyers futurs est destinée à rembourser progressivement le coût total de la construction. « À moins que la construction ne coûte moins cher que prévu, nous devrions payer 780 € de loyer mensuel pour une surface de 85 m2 », explique Chikh Chemman. Un montant bien en deçà du marché locatif lyonnais, d’autant que l’immeuble répondra à des critères d’écoconception qui occasionnent un surcoût de 10 % sur le montant global de la facture de 2,3 millions d’euros.

« Nous nous voyons tous les jeudis pour une sorte de conseil de village qui entérine toutes les réflexions qu’on a alimentées » , raconte Chikh : quels espaces collectifs sont désirés, avec quelles règles de vie commune, comment imaginer son futur appartement… « Nous partageons l’idée de favoriser la rencontre de voisinage. Cela demande d’instituer des règles de vie. » Les parties communes occuperont une large place pour favoriser l’économie d’espace et l’entraide. Sont déjà prévus une buanderie, une salle commune avec cuisine pour recevoir des amis ou se réunir…
Favoriser la mixité sociale fait aussi partie des préoccupations. Sur les quinze logements que comptera l’immeuble, quatre sont destinés à accueillir des familles en situation de précarité qui participeront à égalité à la gestion démocratique du lieu. Le bailleur social Rhône Saône Habitat est partenaire du projet, et des contacts sont pris avec d’autres organismes, comme Habitat et humanisme ou les foyers de jeunes travailleurs.

L’écologie apporte son lot de discussions. L’usage de panneaux solaires et le choix de matériaux sains sont envisagés, tout comme l’idée de grouper des achats en constituant une Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) dans le quartier. « Nous sommes un groupe très dynamique qui appréhende chacune des questions sans angoisse », affirme Chikh. La place de la voiture fait partie des contradictions à régler. La loi d’aménagement urbain impose de créer des places de parking pour chaque ménage. « Notre volonté de réduire la place de la voiture nous a amenés à proposer l’installation d’une station d’auto-partage au lieu de parkings individuels, qui profitera à l’ensemble du quartier » , explique-t-il.
L’innovation que représente la ­coopérative d’habitants demande du temps. L’idée du Village vertical est née à l’automne 2005, et le groupe de départ a évolué. Mais l’objectif est resté intact, et les projets se multiplient un peu partout en France. La région Rhône-Alpes comptabilisant à elle seule une quinzaine d’initiatives.

Un obstacle de taille reste à surmonter. La coopérative d’habitants n’existe pas dans le droit français, ce qui, à terme, met en péril sa viabilité économique et éthique. La coopérative est un statut commercial, régi par une loi de 1947, soumis à la fiscalité classique (impôt sur les sociétés, fiscalisation des plus-values en cas de vente de parts sociale…). Or, pour ses promoteurs, « l’objectif de la coopérative d’habitants n’est pas de faire des bénéfices par la perception des loyers, mais de se désendetter et de constituer des réserves pour assurer sa pérennité » , explique Olivier David, président de l’association Habicoop, qui fédère les initiatives au niveau national. La cession de parts, en cas de départ d’un sociétaire, est indexée sur l’indice des prix à la consommation et non sur l’indice de la valeur foncière, pour empêcher toute spéculation. En l’absence d’une reconnaissance pleine et entière de ces principes par la loi, les coopératives mettent en jeu leur survie.

Habicoop a tenté de faire amender la loi de mobilisation pour le logement, votée en février dernier. Mais le dispositif législatif d’urgence, déclaré par le gouvernement sur ce projet de loi, a court-circuité le débat. Habicoop maintient la pression et, le 9 avril, une journée d’étude a permis de présenter à un conseiller technique du ministère du Logement le nombre et la pertinence des initiatives, ainsi que l’implication des collectivités locales en Rhône-Alpes. La reconnaissance par la loi est encore incertaine, mais « nous allons faire en sorte que les projets se développent pour identifier les obstacles qu’ils pourraient rencontrer » , explique Jean-Christophe Margelindon, en charge du dossier au ministère du Logement.
Le conseiller souligne l’intérêt de la ministre Christine Boutin pour « des initiatives qui favorisent la mixité sociale ». Ces initiatives citoyennes donnent effectivement l’occasion à Mme Boutin de s’en soucier, elle qui n’a rien fait dans la loi intitulée « pour le logement et contre l’exclusion » pour imposer aux communes réfractaires le respect du quota légal de 20 % de logements sociaux.

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