Grippe A : la genèse d’un virus

Depuis dix ans, des virologues alertaient sur le fait que les grands élevages porcins, notamment aux États-Unis, entraînaient le risque d’une nouvelle maladie capable de frapper les humains.

Patrick Piro  • 7 mai 2009 abonné·es
Grippe A : la genèse d’un virus

Va pour « grippe A (H1N1) » : après avoir balancé entre « porcine », « mexicaine », « nouvelle », « nord-américaine », la pandémie virale (épidémie à caractère mondial) surgie au Mexique fin avril a été officiellement baptisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nul ne viendra le contester : le terme « grippe A » désigne une large famille de virus affectant notamment l’espèce humaine.
La bataille du nom révèle la réelle confusion engendrée par l’émergence de ce virus d’un genre nouveau : son patrimoine génétique résulte d’une étrange recombinaison entre des virus d’origine porcine, aviaire et humaine. Ce mécano inédit a très probablement été élaboré au sein d’un élevage de porcs, animal dont l’organisme est un véritable creuset de recombinaisons virales.

Pour autant, ce sont les humains qui sont affectés par ce nouveau virus [^2], se contaminant directement entre eux et d’autant plus facilement que leurs systèmes immunitaires n’ont aucune « mémoire » d’un virus de ce type.
Ce sont des différences fondamentales avec la grippe aviaire, récente panique planétaire, dont le virus est essentiellement resté confiné chez les volatiles – qu’il a rendus malades par millions –, et ne s’est que rarement transmis à l’homme [^3]. Tandis qu’en l’espace de deux semaines on signalait déjà près d’un millier de contaminations avérées par cette grippe A dans plus de vingt pays, et une trentaine de morts, principalement au Mexique. Et même si elle semble peu dangereuse, cédant sous les traitements classiques, des mutations imprévisibles sont toujours possibles. Alors qu’un premier pic d’activité semble passé, l’OMS s’attend à un regain de virulence à l’automne.

Ce climat d’urgence sanitaire généralisée risque de masquer, pendant un temps indéterminé, le débat sur l’origine de cette chimère génétique. Or, depuis une décennie environ, les évolutions virales porcines se sont accélérées sur le continent nord-américain. En 1998, on détecte pour la première fois une hybridation entre des souches porcines, aviaires et humaines dans un élevage industriel de Caroline du Nord. L’inquiétude, à l’époque, avait été tempérée : le mutant n’avait pas la capacité de franchir la barrière d’espèce pour infecter l’homme. Pour les virologues, une telle « catastrophe » était annoncée : elle vient de se produire.
Deux évolutions notables, intervenues dans les élevages porcins nord-­américains à la fin des années 1990, avaient été mises en cause [[« Chasing the Fickle Swine Flu », Science,
7 mars 2003]]. La croissance spectaculaire de leur taille, tout d’abord : en 2002, aux États-Unis, 53 % comptaient plus de 5 000 animaux (contre 18 % dix ans plus tôt), élevages intensifs et confinés, au potentiel d’incubateur viral décuplé. Deuxième évolution : la généralisation de la vaccination antigrippale. Marginale dans les années 1990, elle était pratiquée sur près de la moitié des femelles reproductrices début 2000, avec pour effet contre-productif l’homogénéisation de leurs défenses immunologiques, facilitant l’apparition de souches nouvelles.

L’OMS s’était bien alarmée de cette menace porcine, développant préventivement des vaccins susceptibles de contrer l’apparition de grippes encore inconnues : un échec, en raison notamment de l’insuffisance du système de surveillance des infections virales animales aux États-Unis, comme le reconnaît le Centre pour le contrôle des maladies et la prévention.
Une fois de plus, l’agriculture industrielle a imposé sa logique aux impératifs de santé publique, déplore l’association Grain, qui défend la biodiversité. Dans une note, elle dénonce de surcroît la pression exercée par de grandes firmes pour minimiser, voire masquer, les incidents sanitaires intervenus dans certains établissements. La société états-unienne Smithfield Foods, premier producteur de porcs au monde, y est en particulier épinglée. Est-ce un hasard si l’on retrouve une de ses filiales installée à La Gloria, le petit village mexicain où a été identifié le premier malade de la grippe A ?

 

[^2]: Des porcs ont bien été contaminés au Canada, mais très probablement… par l’agriculteur, qui revenait du Mexique.

[^3]: Moins de 500 cas répertoriés depuis 2003, une moitié des malades décédés.

Écologie
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