À quoi joue le gouvernement français ?

Le climat social se durcit dangereusement sur l’île. Au point que des militants syndicaux viennent d’être condamnés à des peines de prison ferme.

Olivier Doubre  • 1 octobre 2009 abonné·es
À quoi joue le gouvernement français ?
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Depuis le mois de juin, six membres de l’USTKE, le principal syndicat de Kanaky, ont été condamnés à d’importantes peines de prison ferme et emprisonnés, notamment Gérard Jodar, un métropolitain installé de longue date sur l’île et président de l’organisation syndicale, dont la peine s’élève à 18 mois ferme. Des syndicalistes en prison « en France », voilà qui est inhabituel et qui traduit bien la dégradation de la situation sociale et politique sur le territoire. C’est d’ailleurs ce que souligne le communiqué du Bureau confédéral de l’organisation syndicale. Protestant contre l’emprisonnement de ses militants, conséquence selon lui d’une « logique répressive qui remet en cause les droits constitutionnels du syndicalisme et notamment du droit de grève », il pointe « un climat social qui se dégrade dangereusement » et qui, « vingt ans après les Accords de Matignon […], porte en lui les germes d’une nouvelle crise politique ».

Alors qu’en France on n’entendait plus, ou presque, parler du « Caillou » depuis les affrontements des années 1980 et la mise en route d’un processus de décolonisation théoriquement engagé par les Accords de Matignon signés en 1988 sous l’égide de Michel Rocard par Jacques Lafleur, représentant des Caldoches, et Jean-Marie Tjibaou, du FLNKS, il semble que le territoire d’outre-mer soit à nouveau secoué par des conflits sociaux et politiques de premier ordre. En effet, emprisonner le président du principal syndicat ne peut être un acte anodin en démocratie.
Lors d’un conflit social très dur à Aircal, la compagnie aérienne intérieure, les militants de l’USTKE occupent pacifiquement, en mai dernier, l’aéroport du sud de l’île, mais sont violemment chargés par les CRS. Ils sont un certain nombre à se réfugier dans un avion garé au parking. Les pouvoirs publics les accuseront d’abord d’avoir déposé une bombe à bord, et la compagnie d’avoir dégradé l’avion. Ces allégations se révélant fausses, le parquet les poursuivra pour « entrave à la circulation d’un aéronef » ! C’est pour ce chef d’inculpation que Jodar et ses camarades sont aujourd’hui incarcérés au Camp Est, l’ancien bagne de Louise Michel. Dernier épisode en date, Gérard Jodar s’est vu privé de parloir après avoir répondu à une interview dans Libération, où il dénonçait la surpopulation carcérale (de 257 % !) et le fait que la prison ne disposait « d’aucune structure de formation en interne pour permettre la réinsertion des détenus » , dont « 97 % sont des jeunes Kanaks »…

Mais comment en est-on arrivé à emprisonner des syndicalistes à Nouméa ? Il faut d’abord préciser que l’USTKE ne cache pas son engagement indépendantiste. Cependant, le syndicat milite pour la « construction d’un pays multiculturel dans le cadre d’une communauté de destin », selon les propos de Jodar dans Libération. Et ses militants proviennent de toutes les communautés composant l’île : majoritairement kanak, il compte aussi des caldoches, des « métros » et des Mélanésiens, originaires des îles voisines de Wallis-et-Futuna.

Surtout, il semble que le climat ­social se soit fortement dégradé depuis l’arrivée en octobre 2007 de l’actuel représentant du gouvernement sur l’île, le haut-commissaire Yves Dassonville, après la démission de son prédécesseur, « coupable » d’avoir refusé à Christian Estrosi, nouveau ministre de l’Outre-Mer du président Sarkozy fraîchement élu, de faire charger une bruyante manifestation de l’USTKE, en juin 2007, qui dérangeait la réception organisée en son honneur.

Dès sa nomination, Dassonville a voulu rompre avec la pratique de négociations et de dialogue que ses prédécesseurs avaient adoptée. Les syndicalistes déplorent qu’au moindre rassemblement qu’ils organisent, les CRS les chargent directement. Gérard Jodar a ainsi qualifié les méthodes d’Yves Dassonville : « En trente ans, je n’ai jamais vu un haut-commissaire donner des instructions aussi brutales. […] Il n’a pas su tenir compte de la culture du pays. » Le haut-commissaire n’a de cesse de criminaliser le mouvement social, dont il qualifie volontiers les militants de « voyous » , et la justice semble lui avoir emboîté le pas. Alors que le processus issu des Accords de Matignon et Nouméa n’a pas donné tous les résultats que les Kanaks espéraient, puisque très rares sont les cadres, les médecins et les enseignants kanaks, le climat dans l’île continue donc de se détériorer, du fait du mépris affiché et de la répression menée par le pouvoir local contre toute revendication sociale ou politique.

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