Le ministre de la Stigmatisation

Vous voilà donc Sauveur suprême, Éric Besson, investi d’une mission essentielle : combattre les mariages « gris » utilisés par des étrangers indélicats contre des Français innocents…

Olivier Le Cour Grandmaison  • 24 décembre 2009 abonné·es

Bravo, M. Besson, désormais il faudra vous appeler ministre des Expulsions et de la Stigmatisation nationale. Jusqu’à présent, nous vous connaissions comme l’exécuteur zélé de la politique des retours forcés décidée par votre Maître pour protéger la France de la présence dangereuse d’étrangers en situation irrégulière. Comme l’affirmait Brice Hortefeux à la tribune de l’Assemblée en septembre 2007 : « Bien sûr, nous savons tous qu’une immigration maîtrisée est un enrichissement pour la vie de la cité. […] Mais il y a aussi le pire, produit en grande partie par trente années d’une immigration non gérée : les cités ghettos, les squats, les phénomènes de bandes, les violences urbaines, comme celles que la France a connues il y a deux ans, lors de l’automne 2005. Pour beaucoup de nos compatriotes, l’immigration est une source d’inquiétudes. Ils y voient une menace pour leur sécurité, pour leur emploi, leur mode de vie. » Contre le pire et le laxisme irresponsable des gouvernements antérieurs, vous avez donc entrepris des efforts titanesques pour sauver le bon peuple de ces périls annoncés. Les 29 000 étrangers
– hommes, femmes, enfants – traqués, raflés puis expulsés dans leur pays d’origine au cours de cette année peuvent témoigner de vos méthodes « humaines » mais « fermes » , selon la délicate formule ciselée par des professionnels de la propagande.

Mieux encore. En effet, vous n’avez pas seulement mis vos pas dans ceux de votre collègue de l’Intérieur qui s’est distingué par son bon mot, délicat et spirituel, sur les « Auvergnats ». Merveille quintessenciée de l’humour et de l’esprit français qui fait honneur à une longue tradition nationale ! Vous avez su faire preuve de capacités d’invention remarquables. Après la lutte contre les mariages « blancs », vous venez de découvrir un autre fléau, plus terrible encore, puisqu’il trouble l’ordre public, viole la Loi, sape la famille, en un mot ruine les fondements les plus sacrés de la société. Que dis-je, la nation et la République elles-mêmes sont menacées. Vous voilà donc Sauveur suprême investi d’une mission essentielle : combattre et sanctionner les mariages « gris » utilisés, aux dires « d’experts » autoproclamés proches de l’UMP, par des étrangères et des étrangers indélicats pour contracter des unions avec des Français et des Françaises innocents en les trompant sur leur sentiment véritable. Le but de ces immigré(e)s ? Régulariser leur situation ou obtenir plus rapidement la nationalité de ce beau et généreux pays. Odieux en effet, et vive la Police des mœurs chargée de veiller à la sincérité de ces noces.

Ces quelques exemples ne sont rien comparés à cette extraordinaire consultation, démocratique et populaire, destinée à sonder les reins délicats de l’identité française où se mêlent de façon harmonieuse la « civilisation chrétienne » et les « valeurs de la République » , comme l’ont écrit Henri Sarkozy et Nicolas Guaino. Voulue par l’Élysée, mise en scène par vos services, contrôlée par vos censeurs et dirigée par des préfets aux ordres, cette initiative est faite pour durer car « la France des comptoirs » et « des cafés », dites-vous, s’est « emparée ce débat ». Formidable, vous êtes désormais le héraut omniprésent et médiatique du pays réel, mais votre ouïe est singulièrement sélective. Vous échappent les conversations sur le pouvoir d’achat, les salaires, les conditions de travail, le chômage, la précarité, les retraites, la Sécurité sociale, le devenir des services publics… Matérialisme sordide comparé aux ambitions si élevées qui ont conduit le chef de l’État, le gouvernement et votre ministère à s’engager dans cette voie. Pourtant, certains de vos nouveaux amis semblent quelquefois incommodés par les effluves qui s’échappent du vieux brouet xénophobe, islamophobe, sécuritaire et nationaliste que vous avez contribué à réhabiliter.

À ces âmes sensibles, velléitaires et pleutres, vous répondez crânement avec la mâle assurance du démagogue qui prétend incarner la volonté populaire : « Il ne faut pas avoir peur du peuple ! » Tant de courage et de dévouement étonnent, mais que ne feriez-vous pas pour servir la France, satisfaire vos ambitions de pouvoir et votre désir insatiable de reconnaissance ? Ah ! oui, vous l’aimez ce peuple, surtout si, cornaqué par des militants de l’UMP, sélectionné par les services de police chargés des voyages présidentiels, il brandit des drapeaux tricolores au passage du chef de l’État, se presse pour lui demander des autographes et le saluer. Pure construction destinée à mettre en scène un peuple réduit au rôle de figurant dont la seule fonction est d’acclamer Nicolas Sarkozy pour faire croire en son immarcescible popularité. Quant au peuple des « porteurs de pancarte », des « professionnels de la contestation et de la grève », perclus d’archaïsmes qui l’empêchent de découvrir les avantages de la modernisation libérale, il n’a pas droit de cité, et ses membres sont refoulés sans ménagement afin que leurs protestations ne troublent pas les rencontres chaleureuses entre les « forces vives du pays » et celui qui préside aux destinées de la France. Grâce à votre Chef, la République et la démocratie s’épanouissent comme jamais. Gloire à Lui.

Idées
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