Acta ou les nouveaux habits du capitalisme

Jérôme Gleizes  • 21 janvier 2010 abonné·es

De nouvelles négociations non démocratiques sont en cours. Derrière l’acronyme Acta (Anti-Counter Trade Agreement), se cache un nouveau faux AMI du capitalisme. Entre 1995 et avril 1997, il y a eu une négociation secrète au sein de l’OCDE sur l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Cet accord proposait une libéralisation des échanges en permettant aux entreprises de se défausser juridiquement et surtout d’ester en justice contre les États. À l’époque, la stratégie dite de Dracula avait permis d’arrêter cette initiative en rendant public le projet.
Depuis 2007, une nouvelle négociation se déroule hors des cadres institutionnels multilatéraux pour imposer un accord commercial contre la contrefaçon. Une poignée de pays se réunissent pour élaborer dans le secret un accord qui leur permette d’aller plus loin encore que les accords de l’OMC ou de l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (Ompi). Il existe, dans ces accords, des articles juridiques permettant d’exempter un pays des droits de propriété intellectuelle, d’autoriser la fabrication d’un produit sans l’avis du titulaire du brevet en cas d’urgence nationale.
Ainsi, avec Acta, la lutte contre la contrefaçon et le piratage informatique est le nouveau cheval de Troie pour restreindre les libertés individuelles, limiter la capacité des États d’assurer un équilibre entre intérêts privés et intérêt public. L’Acta permettrait de bloquer l’utilisation de médicaments génériques mais aussi les technologies d’adaptation aux changements climatiques.

Aujourd’hui, la diplomatie entre États est remplacée par une diplomatie entre firmes multinationales qui imposent leurs intérêts hors de tout cadre démocratique. La mode est aux accords bilatéraux au-dessus des accords multilatéraux, sans contrôle institutionnel. Le G20 s’est substitué à l’ONU pour régler la crise financière. La conférence de Copenhague s’est terminée sur un accord entre 27 pays, imposé à l’ensemble de la communauté internationale. Et maintenant, la stratégie est de faire des accords bilatéraux pour contourner le droit international.
Avec la place centrale que l’information et le savoir occupent dans nos sociétés, émerge un nouveau capitalisme que certains auteurs appellent le capitalisme cognitif. Dans ce contexte, le droit de la propriété intellectuelle, initialement censé soutenir les innovateurs, sert la création de nouvelles enclosures, celles du savoir, pour assurer et préserver les rentes des firmes multinationales.

Ce détournement juridique révèle une nouvelle étape du capitalisme, de la subordination (subsomption) du travail au capital. Deux formes existent et se sont historiquement succédé : la « subsomption formelle », la libre disposition de la force de travail par le capitaliste à travers le contrat de travail, entraînant une dépendance monétaire à travers le salaire, et la « subsomption réelle », soumission du travailleur au capital à l’intérieur du procès de production, qui étend la dépendance aux conditions du procès du travail (rationalisation, organisation, machines). Aujourd’hui, une troisième forme de soumission émerge, que l’on pourrait appeler subsomption intégrale de la vie, dans le sens où c’est la totalité de l’être qui est soumise au capital : la force de travail, la force physique et la subjectivité. Gorz parlait de « mobilisation totale ». Cette nouvelle forme de soumission nécessite de nouvelles formes institutionnelles pour capter la plus-value. Le droit de la propriété intellectuelle permet cela tout en restreignant les libertés individuelles par un contrôle accru de l’Internet.

Cette lutte incessante entre le capital et le travail appelle aujourd’hui à de nouvelles alliances. Une coalition mondiale d’ONG, d’associations de consommateurs et de fournisseurs de services Internet vient de publier une lettre ouverte contre l’Acta, considéré comme une menace pour les libertés. Elle doit maintenant s’élargir aux pays du Sud, aux syndicats, aux associations de défense des droits humains, aux associations environnementales [[Voir la tribune de José Bové et alii, « Copenhague et les droits de propriété »
]]… Car la démocratie mondiale est en péril.

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