Se jeter à l’eau

« Harragas »,
une sombre épopée
de Merzak Allouache.

Ingrid Merckx  • 25 février 2010 abonné·es

Jeunes, la trentaine, ils veulent « brûler » : partir en brûlant passé, papiers, frontières. « La mort ici, la mort là-bas ». Autant tout tenter. Et « si Dieu veut » … C’est Rachid qui raconte. En voix off. Tantôt dans le champ avec les autres, tantôt hors champ, présentant chacun des protagonistes de cette sombre aventure. Elle commence par un suicide : Omar se pend. Rachid et Nasser décident de « brûler » quand même. Imène, sœur d’Omar et petite amie de Nasser, part aussi. C’est filmé comme si le spectateur était l’un de ces enfants des cités de Mostaganem (Algérie) prêts à tout pour traverser vers l’Espagne, puis la France.

L’histoire, on la connaît. Harragas de Merzak Allouache (l ’Autre Monde, Chouchou, Bab el Web ) lui donne chair. Le beurre du plat qu’Imène prépare la veille d’embarquer, la tension des parents, la panique du muet quand le passeur se fait braquer, la grippe du harraga coincé dans la forêt, la proximité avec les autres dans la barque qui dérive, la trouille des garde-côtes, l’attente et, surtout, la pensée de ces milliers de morts qui ont échoué et gisent sous eux, au fond de l’eau… L’histoire, on la connaît. Harragas lui donne des couleurs, de l’espace, un décor en plans larges dont la beauté vient contredire la brutalité du projet, mais aussi du suspens : Harragas s’apparente à ces films d’évasions mythiques, la Grande Évasion, l’Évadé d’Alcatraz, Papillon… où l’on ressent plus que l’on ne comprend l’urgence de s’échapper, d’en réchapper. C’est presque moins un film pour ceux qui partent que pour ceux qui les voient arriver. Le même bleu de la mer, les mêmes fourrés, le même sable. Mais en face. Juste en face.

Culture
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