Tant de difficultés à considérer l’Autre…

Sous la direction d’Esther Benbassa, un ambitieux répertoire de toutes les formes de racisme.

Denis Sieffert  • 29 avril 2010 abonné·es

C’est une première dans notre littérature sociologique et politique française ! Voici le Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations. Quelques chiffres donnent la mesure de l’entreprise : trois cents articles répartis sur 728 pages, organisés en trois grands chapitres. Un dictionnaire où le A d’abolitionnisme ou d’aborigène n’apparaît qu’à la page 105. Les définitions sont précédées d’une série d’articles et d’interrogations qui scrutent l’état de notre société, comme celles-ci : « Peut-on dire que la France est une société postcoloniale ? », « Où en sont les mémoires de l’esclavage ? », ou encore « La guerre des mémoires aura-t-elle lieu ? ». Au côté de signatures d’historiens ou de sociologues, comme Giles Manceron, Nicolas Bancel, Nacira Guénif-Souilamas ou Françoise Vergès, on trouve des auteurs moins attendus comme le footballeur Lilian Thuram ou le rappeur Hamé. L’ouvrage vaut aussi pour sa partie centrale, consacrée à une histoire des racismes et des discriminations du XVe siècle à nos jours. Mais c’est évidemment la variété des entrées qui fait la richesse de ce dictionnaire.

Les auteurs, sous la direction d’Esther Benbassa, ont envisagé, plus que la question du racisme, toutes les thématiques qui ont à voir avec l’altérité. « Blues » voisine avec « Blasphème » ou « Bouc émissaire » ; « Colonialisme » côtoie « Cobaye humain » et « Controverse de Valladolid » ; ou encore « Harcèlement » précède « Hérésie » et « Hooligan »… Et plus loin : « Rafle » et « Relativisme culturel » cohabitent avec « Réserves indiennes » et « Révolution française ». Ces quelques exemples pour montrer combien est large le champ de l’exploration. Cette ouverture n’est pas indifférente. Elle témoigne d’une réalité complexe qui fait qu’au-delà d’un racisme lourd et manifeste qu’il est toujours de bon ton de dénoncer, il existe toutes sortes de difficultés à considérer l’Autre. Des difficultés auxquelles nul ne peut prétendre échapper. C’est en quoi, plus qu’un acte de dénonciation, ce dictionnaire agira aussi comme révélateur sur toute conscience lucide.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier