Un nouvel espace de luttes sociales

Hervé Le Crosnier  • 29 avril 2010 abonné·es
  1. Alors que l’OMC organisait son cycle du millénium à Seattle, Internet bruissait des échos d’une mobilisation sans précédent, coordonnée à l’échelle mondiale, précédée par un long échange d’informations et surtout de réflexions, de prises de position, d’études. Avec le résultat que l’on sait, analysé ultérieurement par la Rand Corporation, le « think tank » de l’armée états-unienne, comme une « guerre des réseaux »  : des mouvements épars, habités par des projets et des terrains d’action différents, avaient trouvé dans l’Internet l’outil qui leur manquait pour focaliser leurs énergies. Dans le même temps, Internet devient un outil extrêmement puissant pour réorganiser le travail, accentuer la délocalisation, vidéosurveiller les salariés et même les asservir à tout moment, à coup de mails et de dossiers embarqués sur le portable. Naissent de nouveaux géants industriels, des vecteurs capables de mélanger une économie de médias financée par la publicité et une industrie de compteurs, capable de mesurer tous les usages et finalement de connaître et d’influencer les individus.

C’est aussi à l’intérieur d’Internet que naissent de nouveaux mouvements sociaux, prenant à bras-le-corps les questions spécifiques posées par les technologies de l’information. Ce sont tout d’abord les programmeurs du mouvement des logiciels libres, qui à force de coordination, de travail coopératif et de création collective sont parvenus à ébranler le monopole extravagant de Microsoft et à ouvrir les portes à une utopie technique de liberté et de partage. Un chemin emprunté par des auteurs publiant sous des licences de libre circulation « Creative Commons » ; des scientifiques délivrant leurs travaux en libre accès ; des mouvements antipub concoctant des outils pour décrypter le marketing ; des mouvements défendant la liberté de parole et la critique des médias.

Cette capacité à construire un projet alternatif au cœur du système ouvre de nouvelles perspectives à tous les mouvements sociaux. Une image qui renvoie à la dynamique du premier mouvement ouvrier, avec les bouillonnements existant au XIXe siècle autour des « bourses du travail », des coopératives et de l’utopie de l’autogestion. C’est aujourd’hui autour de la question des biens communs de la connaissance, de la résistance à un modèle strictement propriétaire de la culture et du savoir, que se construit un nouveau projet social pour le XXIe siècle. Et que se tissent de nouveaux affrontements politiques et sociaux : entre les nouveaux monopoles issus du numérique et les défenseurs des biens communs ; entre la société de contrôle et de surveillance et l’auto-organisation des créateurs et des passeurs de culture ; entre les nouvelles formes de travail et de domination des intellectuels précaires et la volonté de ces mêmes travailleurs de cultiver les fleurs de leur utopie au cœur même du réseau. Les conditions de la révolution ont changé. Il s’agit de libérer les réseaux pour construire les biens communs, comme les ouvriers internationalistes rêvaient de fabriques libérées au service des besoins de toute la société.

Publié dans le dossier
Qui veut contrôler Internet ?
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