Entretien avec Florence Faucher King

Alors que les élections législatives britanniques se tiennent le 6 mai, Florence Faucher-King* analyse l’action des travaillistes. Élus en 1997 pour remédier aux inégalités, ils semblent désormais à bout de souffle.

Florence Chirié  • 6 mai 2010 abonné·es
Entretien avec Florence Faucher King
© PHOTO : ROUSSEAU/AFP Florence Faucher King est auteur de l’ouvrage les Gouvernements New Labour, le bilan de Tony Blair et de Gordon Brown, avec Patrick Le Galès, Presses de Sciences Po, 210 p., 14 euros.

Politis : Une partie de la gauche française juge très sévèrement Tony Blair et les treize ans de gouvernement du Labour. Est-il vrai que le New Labour s’est inscrit dans les pas de Margaret Thatcher ? Quel est notamment son bilan sur les inégalités ?

Florence Faucher-King I Les gouvernements de Tony Blair et de Gordon Brown n’ont pas renié l’héritage thatchérien, ils ont cherché à construire à partir de ce qu’ils ont trouvé. C’est ce qui fait leur originalité et leur rupture avec la tradition socialiste vue de France. Pour être éligibles en 1997, ils ont accepté certaines contraintes. Les investissements, plutôt faibles pendant le premier mandat, ont augmenté par la suite, en particulier dans l’éducation et la santé, domaines qui avaient été largement négligés par les conservateurs.
Les travaillistes ont amélioré la situation relative aux inégalités, particulièrement fortes pendant la période Thatcher, en utilisant la fiscalité pour augmenter les revenus des plus ­pauvres. Toutefois, si les 1 % les plus riches ont vu leurs revenus diminuer, ils ont quand même continué à s’enrichir grâce à la Bourse et au patrimoine, notamment par la spéculation immobilière. Un des efforts les plus importants des néotravaillistes a été la réduction de la pauvreté des enfants, même s’ils n’ont pas atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés.

Vous distinguez une différence entre Tony Blair et Gordon Brown, le second étant plus à gauche que le premier. En quoi cela s’est-il manifesté ?

Il n’y a pas eu de rupture radicale entre les gouvernements. Brown est traditionnellement plus à gauche, et c’est lui qui a poussé à cette focalisation sur la pauvreté dans l’enfance. Mais, au niveau des politiques publiques, les différences ne sont pas frappantes, et les lignes de continuité sont importantes. C’est plutôt le contexte qui change : Gordon Brown a dû faire face à la crise économique et financière. Les banquiers, ou les franges les plus riches, n’étaient plus aussi populaires ou tolérables que par le passé, et il a été possible d’annoncer des hausses d’impôt sur les bonus.

Vous qualifiez la société britannique de « société de marché », l’État peut-il encore garantir une stabilité sociale ?

Cette société tend à faire peser sur les individus des règles de compétition. Les normes sociales qui gouvernent et facilitent l’esprit de service public ainsi que toutes les solidarités institutionnelles sont érodées. Cependant, les travaillistes ont utilisé l’État pour orienter les choix des individus. Ils doivent se comporter de manière rationnelle en tant que consommateurs, mais être encouragés à faire les bons choix. Là dessus, les travaillistes se distinguent des conservateurs car ils ont permis à l’État de conserver un rôle d’aiguillon et de décideur des critères d’évaluation.

Le système électoral britannique a toujours favorisé le bipartisme. L’émergence d’une troisième force, le parti libéral-démocrate, vous semble-t-elle durable ? Risque-t-elle de précipiter la chute du « New Labour » ?

Cela dépendra bien sûr du résultat des élections. Ce système électoral est défavorable aux libéraux-démocrates. Mais, s’ils arrivent à se retrouver dans une situation où ni les travaillistes ni les conservateurs n’ont la majorité, ils vont pouvoir exercer une pression pour une réforme du mode de scrutin. Les travaillistes se sont plus ou moins engagés à faire une réforme électorale ou un référendum sur le mode de scrutin, et les conservateurs y sont opposés.
Quoi qu’il en soit, l’émergence des libéraux-démocrates est en grande partie une conséquence de la chute du Labour. Les affaires de corruption et les déceptions occasionnées par la gauche créent une aspiration croissante à un autre type de politique, au-delà de l’alternance entre conservateurs et travaillistes. Le déclin des travaillistes et le manque d’enthousiasme à droite pour des conservateurs trop peu libéraux font que les libéraux-démocrates ont le vent en poupe à l’heure actuelle.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes