Retraites : quel gâteau partager ?

Christophe Ramaux  • 17 juin 2010 abonné·es

Le 8e rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui sert de base aux débats, est à certains égards contestable. Il gonfle artificiellement, par exemple, le déficit des régimes de retraites. Alors qu’en 2008 il était de 1,7 milliard d’euros, soit bien peu au regard de la masse des pensions versées (261 milliards), le COR parle aujourd’hui d’un déficit de 10,9 milliards d’euros. Cela est rendu possible par le tour de passe-passe suivant. Dans les faits, l’État paye la retraite des fonctionnaires sur son budget courant. On calcule cependant des « cotisations implicites », soit celles que paierait l’État s’il passait par une caisse spécifique. Or, le COR a décidé de retenir comme taux de cotisation implicite celui qui équilibrait les retraites de l’État en 2000, et cela jusqu’en 2050 ! Ainsi, il y aura toujours, par convention, un déficit équivalent à 0,6 point de PIB. Avec la crise et le défaut de recettes qu’elle engendre, le déficit des retraites s’est creusé. Jusqu’à 32 milliards en 2010, comme on l’entend trop souvent ? C’est oublier que ce chiffre englobe plus de 10 milliards de déficit purement « conventionnel ».

Pour l’essentiel, les travaux du COR sont précieux. Le catastrophisme est l’arme familière du libéralisme. La peur incite au repli sur soi. Ce qui vaut en général vaut pour les retraites. Les études montrent ainsi que les jeunes, très majoritairement, ne croient plus à la retraite publique pour assurer leurs vieux jours. Une belle victoire intellectuelle du libéralisme qui risque concrètement d’encourager la capitalisation. En prenant appui sur les travaux du COR, il est au contraire possible de soutenir qu’un ministre des Finances pourrait se présenter sur le perron de Bercy et dire : « Citoyennes, citoyens, nous pouvons garantir une hausse d’au minimum 50 % du pouvoir d’achat des actifs et des retraités d’ici à 2050. » Et cela sans même toucher à la part, qu’il faut pourtant réduire, des profits dans la valeur ajoutée. L’explication est simple  [^2] : si on suppose, ce que fait le COR, que les gains de productivité des quarante prochaines années seront plus piteux encore (entre 1,5 % et 1,8 % par an contre 2,3 % entre 1970 et 2007) que ceux des trente « dernières piteuses », le PIB doublera néanmoins d’ici à 2050. Et c’est ce gâteau plus grand qui permet d’offrir des perspectives de progression aux actifs comme aux retraités.

Faut-il s’opposer aux gains de productivité et à la croissance au nom de l’écologie ? Le débat sur les retraites, ce n’est pas le moindre de ses avantages, permet de trancher certains débats. On ne peut augmenter les bas et moyens salaires, retraites et autres prestations sociales sans aucune croissance. La taxation nécessaire des revenus financiers n’y suffirait pas. À sa façon laborieuse, le livre d’Attac et de la Fondation Copernic [^3] le montre. Selon l’un des scénarios présentés, avec zéro croissance, il faudrait une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée de 13 points (ce qui mord sur l’investissement), pour n’obtenir qu’un strict maintien du pouvoir d’achat des salaires et des pensions jusqu’en 2050. Le COR prévoit qu’en dépit des réformes libérales déjà passées les pensions augmenteront de 43 % à 47 % d’ici à 2050. L’absence de croissance conduit donc à bien pire.
Les gains de productivité ne signifient pas nécessairement un stress accru au travail : ils résultent avant tout des innovations technologiques. L’écologie exige la décroissance de certaines productions. Mais la décroissance comme projet global est une impasse. La bonne question à poser est celle du contenu de la croissance. Un enseignant, une infirmière, un artiste (dès lors qu’il est payé) contribuent au PIB. Et l’écologie exige avant tout des créations d’emplois et des investissements massifs  : rénovation thermique des bâtiments, énergies renouvelables, agriculture biologique, transports collectifs… La question des retraites montre que l’enjeu politique en matière économique est double et non unique. Le « partage du gâteau » bien sûr, mais aussi sa taille. Laisser cette dernière question aux libéraux serait un redoutable piège.

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[^2]: Retraites : les jours heureux à portée de main », Christophe Ramaux, Le Monde.fr,

[^3]: Retraites, l’heure de vérité, Attac-Fondation Copernic, Syllepse, 2010.

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