Ah les filles, ah les filles !

Paul Pavlowitch  • 8 juillet 2010 abonné·es

L’autre dimanche mes filles sont arrivées en voiture avec les gosses. Elles sont toutes les deux divorcées et elles travaillent. Personnellement j’ai pu faire ce que j’aimais – ce qui n’est pas sérieux –, et jamais je n’ai divorcé car toujours ma femme m’a séduit. Pour mes filles c’est différent. L’une a un amant, l’autre un nouveau mari. Après six cents kilomètres d’autoroute, elles étaient épuisées, pas les garçons. Ils hurlaient « Papou ! Papou ! ». Mon nom est Papou. Ils m’appellent comme ça. Je repliai le numéro de week-end du journal du soir et allai les aider à vider la bagnole. Mes filles sont des mamans au parfum. Quand on a des garçons, c’est indispensable. Elles savent monter les robots télécommandés autant que les dragons livrés en morceaux, pires que des puzzles. Leurs nouveaux mari et compagnon sont des hommes sérieux. Des cadres façon Japon. Je n’ai pas grand-chose à leur dire, mais ce n’est pas de leur faute. L’un est dans les buildings, l’autre dans le commerce et je vois que les filles font tout le boulot, comme avant.

Avant, bien avant, du temps des Beatles, les filles paraissaient différentes. Je les aimais follement. Je me souviens de l’une d’elles. Une Don Juane. Progressiste et même révolutionnaire comme l’étaient alors les garçons et les filles qui avaient du cœur, souvent jusqu’à la bêtise, celle que j’évoque était très belle. Elle choisissait ses jeunes amants sans hésitation et sa franchise lui donnait tous les pouvoirs. Je vous parle de cette année sidérante où les filles surgirent en minijupe. Dessous, elles portaient des  panties. Ça vous marque pour la vie. En face les garçons formaient une cohorte plutôt conformiste. Ahuris, ils apprenaient qu’ils appartenaient à la génération de la révolution sexuelle. Pourtant, en petit costume aux épaules étroites avec chemisette vichy, les cheveux pas encore longs, ils manquaient de tranchant pour des champions du n’importe quoi. Les filles, c’était autre chose. Comment ne pas les remercier encore maintenant d’avoir été si audacieuses, si généreuses ? Rien n’était interdit. Je dois ajouter que je fus secoué lorsque ma petite amie me présenta son petit ami. Devant tant de naturel je fus rendu muet. L’autre aussi qui souriait avec modestie. Il aimait Donovan. Nous avions dix-huit ans. Elle ? Elle voulait tout. Qu’y pouvions-nous ? Nous avions encore pas mal à apprendre.

Faites l’amour, pas la guerre, il est interdit d’interdire, etc. De pareils mots d’ordre détruisirent quelques tabous hérités des années Pétain + de Gaulle. Bien sûr, nous eûmes du mal à distinguer entre nos illusions et les nécessités quotidiennes. Personnellement je ne le regrette pas. Du moins savions-nous
– malgré certains qui péroraient – que le sexe était le sexe et que pouvoir en jouir était pur délice. Aujourd’hui on cause sexe pour parler des genres ou de la pornographie. On fait de même avec tout, on cause de race , de guerres ethniques et plus souvent encore de moi : on dit moi je . On ne parle plus des classes sociales, des catégories de revenus, de gros richards ni des ouvriers. Non. Cette mutation dans les termes ne pouvait provenir que de gens pour qui la politique est une occupation récréative. Pas plus. Encore une projection de soi.
La politique a été laissée entre les pattes des « mâles alpha » avides de pouvoir. Politique des sexes, émotivité sénile, rappel aussi débile d’un « respect » prétendument universel – comme s’il existait un droit à ne pas être offensé –, voilà l’héritage spirituel remis aux jeunes générations, bien enveloppé dans le silence complet des Maîtres penseurs sur les inégalités et les injustices économiques voulues par nos gouvernants. Silence total sur la vie extraordinairement difficile des femmes et des hommes.
Qui y songerait ?

Beaucoup plus tard dans ma vie j’ai croisé quelques femmes hélas horribles, pas énormément : deux trois. Elles n’avaient aucun talent pour l’amour. Avides, laborieuses, ignorantes, revanchardes : de vrais mecs, elles reprochaient tout aux hommes, et à moi aussi. Je restais sans voix. Elles parlaient d’injustice, elles ne concevaient pas que leur médiocrité en fût la cause. De telles rencontres vous brisent le moral, par ce temps de marché noir des idées comme des marchandises alors que règnent ces créatures des deux sexes, car on les voit jusque dans les palais nationaux où trônent les politiciens, « mâles dominants » autocertifiés confirmant la domination de la canaille d’extrême droite dont nous nous moquions lors de nos années amoureuses. Bref, c’est l’horreur.

Le lendemain de son arrivée mon aînée se décida subitement. Elle nous quittait, avec son fils. Elle partait retrouver son amant. Je les conduisis à l’aéroport.
« Au revoir Papou ! », hurla mon petit-fils depuis le tarmac. De retour chez moi je repris le journal du soir. Je mets un temps fou à le lire, pas qu’il soit si riche mais parce que son hypocrisie me terrasse, je passe mon temps à le jeter à terre. J’achevais la lecture de l’article de l’ex-adolescente Don Juane des années Beatles. Sexagénaire assagie, forcément, elle parlait du droit des femmes et de leur différence avec une étrange rigueur. Évoquant de grands ancêtres intellos, elle était même devenue un peu Commandeur, pour ne pas dire bas-bleu. Elle ne voyait plus très clair. Je préfère quand elle aimait les hommes et les femmes, lorsqu’elle donnait et prenait à plaisir.

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