La lumière : un nouveau luxe

Examiné la semaine prochaine au Parlement, un projet de loi revoit l’organisation du marché de l’électricité. Au détriment des consommateurs, qui verront les tarifs s’envoler.

Pauline Graulle  • 23 septembre 2010 abonné·es

Elle est présentée comme « la loi la plus importante pour l’organisation du secteur électrique en France depuis 1946 ». Mais c’est en toute discrétion que le projet de loi Nome (« nouvelle organisation du marché de l’électricité ») arrivera lundi au Sénat, après avoir été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale en juin. Trois ans après l’ouverture à la concurrence pour les particuliers, cette nouvelle étape dans la libéralisation du secteur de l’énergie entraînera pourtant une augmentation des tarifs de l’électricité sans précédent : + 11,4 % au moins dès la première année de sa mise en place, puis + 3,5 % par an, a estimé la commission de régulation de l’énergie. Avec les conséquences que l’on sait sur l’accès des ménages à ce bien vital. Résultat, même à droite il se chuchote que le gouvernement fait une « grave erreur ».

Alors, pourquoi diable cette loi ? À l’origine, il y a Bruxelles, qui voit dans la situation quasi monopolistique d’EDF une intolérable atteinte au dogme de la concurrence libre et non faussée. Il y a aussi, et surtout, les lobbies : Poweo, Direct Énergie ou GDF-Suez. Ces entreprises qui ont fleuri depuis 2007 pour surfer sur la « bulle électrique », mais qui, n’ayant pas accès à un nucléaire bon marché, s’y sont cassé les dents faute de proposer des tarifs plus attractifs que l’opérateur historique : moins de 5 % des ménages ont opté pour un fournisseur alternatif.

L’ouverture « théorique » à la concurrence ne suffisant donc pas à satisfaire le privé, le gouvernement passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Si elle est votée, la loi Nome obligera EDF à revendre à prix fixe jusqu’à 25 % de sa production nucléaire à ses propres concurrents. Un joli cadeau pour les opérateurs privés, qui plus est, sur les deniers publics : « L’investissement dans le parc nucléaire a été financé par nos impôts, c’est ce qui explique pourquoi l’électricité nucléaire est l’une des moins chères d’Europe, relève le député PS François Brottes. C’est donc Poweo et consorts qui vont profiter de cette “rente nucléaire”, pas les Français ! »

C’est peu de le dire. Car loin de bénéficier aux consommateurs, cette concurrence « forcée » est sur le point d’entraîner une explosion des tarifs jamais vue. D’abord parce que, « n’ayant pas la main sur la production de base, les fournisseurs vont acheter du nucléaire à EDF puis revendre exactement le même “produit” mais avec une marge. La loi ajoute un intermédiaire qui n’a pas lieu d’être », résume Anne Debrégeas, syndicaliste à SUD Énergie. Et si les nouveaux entrants proposent malgré tout des prix d’appel plus attractifs que le géant de l’énergie ? Le constat est le même : « C’est le montant de toutes les factures, y compris des factures EDF, qui va exploser, avance Caroline Keller, chargée de mission énergie à l’UFC-Que ­choisir. EDF veut profiter de la loi Nome pour se faire une marge au moment de la revente du nucléaire à ses concurrents ! Ce serait facile puisque c’est EDF qui fournit les informations pour déterminer le coût réel de production du nucléaire… »

Alors, quel prix initial sera facturé par EDF ? La question est d’autant plus cruciale que le prix de vente déterminera aussi le prix du tarif réglementé pour les particuliers. « Le problème est que si EDF ne vend pas assez cher, on risque de se retrouver dans dix ans en sous-investissement en France, mais s’il vend trop cher, c’est dramatique pour les consommateurs, particuliers comme entreprises » , estime Marie-Claude Cailletaud, à la CGT Énergie. « EDF a d’ores et déjà annoncé qu’il ne vendrait pas en dessous de 42 euros par kilowattheure (Kwh), soit 11 euros de plus que les dernières estimations (de 2007) dont nous disposons sur son coût complet de production », poursuit Caroline Keller. À croire que si, depuis sa nomination à la tête du géant de l’électricité, Henri Proglio ne cesse de hurler à cor et à cri au « pillage » de son entreprise par la concurrence, « c’est uniquement pour faire monter les enchères ! » , pointe François Brottes. Un jeu de dupes qui n’est sans doute pas pour déplaire à l’État, principal actionnaire d’EDF…

Une concurrence qui fait monter les prix en pleine crise économique et sociale, un État sur le point de brader ses propres joyaux industriels, une injonction à « consommer plus » alors que l’heure est à la réduction d’énergies… Au final, à quoi rime la loi Nome ? François Soult, auteur de EDF, un désastre inéluctable  [^2], a sa petite idée : « Tout le monde s’accorde à dire que faire entrer l’électricité dans la logique de marché est impossible techniquement, délétère économiquement, dangereux sur le plan sanitaire. Alors, pendant des années, je me suis demandé pourquoi tout le monde fonçait tête baissée droit dans le mur. Je n’ai trouvé qu’une réponse : l’idéologie est devenue plus forte que la réalité. »

[^2]: Calmann-Levy, 2003.

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