Les films de la rentrée

Alain Ade  • 16 septembre 2010 abonné·es

On a beaucoup glosé cet été – milliardaires germanopratins que nous sommes, incapables de siroter nos Chateldon/Cranberry à la terrasse du Flore sans dégoiser sur l’action du gouvernement ! – à propos de la participation de Carla Bruni au dernier film de Woody Allen, Midnight in Paris. On a même évoqué l’arrivée impromptue sur le plateau du Président lui-même (le vrai, pas le coulommiers de campagne). On s’est gaussé des conseils avisés qu’il aurait donnés au réalisateur : « Là, m’sieur Haleine, j’verrais plutôt un gros plan d’Carlita… » , « Là, Woody Woodpecker, j’mettrais bien un p’tit coup d’zoom sur Carlita » , « Là, Königsberg, tu vas m’virer les zaut’ zacteurs, pass’ que c’est la grande scène de Carlita ! » On s’est moqué de ses velléités de direction d’acteurs, de son animosité à l’égard des paparazzis
–  « Cassez-vous, pauv’ Nikon ! » , aurait-il crié –, qu’il avait pourtant fait convoquer par Franck Louvrier une semaine auparavant. On s’est moqué ? Eh bien on a eu tort ! Car ce sont des domaines dans lesquels il excelle, Marcel, et ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « le Président 3 en 1 ». (1. Il dégraisse la fonction publique. 2. Il élimine le calcaire des masses laborieuses. 3. Il fait briller les casseroles politiques, même les plus encrassées.)

On a moins parlé des autres films ou projets de films aux génériques desquels apparaissent les noms de personnalités gravitant dans l’entourage de Nicolas, notre Tsar Cosy (comme l’appelle par antinomie Vladimir Poutine), voire de certains de ses ministres. Qui a relevé, par exemple, le clin d’œil, en forme de conseil prémonitoire, à monsieur Woerth, ministre du Travail, dans le célébrissime Prends l’oseille, Éric, et tire-toi (1969), de Woody Allen, déjà ? Qui a mis en évidence l’influence du Président, toujours lui, sur la première mouture du scénario, intitulée : Prends l’oseille et casse-toi, pauv’con (un temps confié à Alan J. Pakula, qui l’avait, lui, baptisé les Sommes du Président) ? Pourquoi ne rappelle-t-on jamais la collaboration de Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, au non moins fameux Roms, villes fermées, de Roberto Rossellini (1945) ? Puis, quelques années plus tard, ses conseils avisés au script final du délicat Pas mon pote, le gitan ! de François Gir (1959) ? Ce film, souvenez-vous, dont le tube extrait de la bande originale, « la Chanson de la rafle » ( « Le cieeeel/était couvert de sièèèèèges/au loin/ déjà les charters voooolaient ! » ), a, depuis, fait le tour du monde et enchanté tant de générations qu’il reste, par exemple, l’air préféré d’Éric Besson. Certaines rumeurs vont même jusqu’à insinuer que le ministre de la Désintégration l’écoute en boucle, en même temps qu’il écrit son autobiographie [^2].

Dans le même ordre d’idée, pourquoi aucun journaliste n’a rappelé que le l’Oréal, le fameux film de Mike Nichols, sorti en 1967, a été inspiré au réalisateur américain par la vie de notre Rastignac des crèmes dépilatoires, François-Marie Banier ? En particulier dans cette manière bien française pour le personnage, jeune homme débordant de talents artistico-priapiques, de gravir l’échelle sociale grâce à l’entregent (du monde) qui l’habite ?
Dans un tout autre registre, qui a intérêt à cacher le fait que c’est Christine Lagarde herself qui a inspiré à Jean-Luc Godard le chef-d’œuvre de la nouvelle vague À bout de flouze (1954) ? Qui cela gêne-t-il de révéler que Patrice de Maistre a soufflé à Luigi Comencini l’idée de l’Argent de la vieille (1977) ? Apprendra-t-on un jour, dans les encyclopédies cinématographiques, avec quelle audace Kenji Mizoguchi, le maître japonais, n’a pas hésité à se rapprocher de Florence Woerth pour profiter de son expérience de gestionnaire chez Clymène afin de rendre crédible le scénario de son chef-d’œuvre Les comptes de Liliane voguent après l’appui (1953) ? (Pour la petite histoire, Stanley Donen et Gene Kelly, un temps pressentis à la réalisation, l’appelaient entre eux Chantons sous l’appui.)

Panurge rimant avec clé à molette, on a appris depuis que nombre de projets agitent les antichambres de la République. Serait ainsi en préparation un Tirez sur le panéliste, de et avec Thierry Saussez. Une nouvelle mouture d’un autre chef-d’œuvre de Truffaut, l’Argent de proches, bénéficierait actuellement d’un développement dans une société de production appartenant à Patrice de Maistre et Éric Wœrth (qui pourtant ne se connaissent pas !). Et, enfin, un tuyau qui ne semble pas percé, celui-là, fait état d’un projet de film qui serait réalisé par le Président lui-même (le vrai, pas la bûche de chèvre). Facétieusement intitulé les Tout-à-l’égout du paradis, cette œuvre majeure, n’en déplaise aux faux sceptiques, sortirait en avant-première mondiale l’été prochain au Cap Nègre.

Mais le plus étonnant, dans cette histoire, reste que l’opposition semble s’y être mise à son tour. On peut y voir une certaine manière de « transcender le clivage gauche/droite » , comme l’écrivait Pierre Laval à Guy Môquet le 21 octobre 1941. J’aurais pour ma part tendance à penser que, lorsqu’il s’agit de cinéma, majorité et opposition ne diffèrent guère dans leur volonté de nous faire prendre les vessies du réalisme pour les lanternes de l’utopie. On annonce ainsi une Rose pourpre du Care, écrit, interprété et réalisé par Martine Aubry. Wait and cinéma !

[^2]: L’heureux traître a 62 ans, éditions Iago, sortie prévue le 2 avril 2020.

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