Baisse le son, Besson !*

Abdel Hafed Benotman  • 18 novembre 2010 abonné·es

« Du “gris” que l’on prend dans ses doigts et qu’on… roule ! » Comme le chantait Fréhel ! M. Besson, comme vous le voyez… je connais l’air et la chanson. Vous tentez de rouler les Français dans une farine… bien blanche ?
Vos mariages « gris » ? Pourquoi ne pas dire directement mariage bicot, ou bougnoule ou crouillat ou raton ? Car vous savez pertinemment que cette expression de « gris » est une insulte raciale qui vient tout droit de l’après-guerre d’Algérie. Dans mes cours de récréation et dans mes rares lieux de travail, lorsque j’étais employé au lance-pierres, combien de fois ai-je entendu cette expression désignant mon flou de couleur : gris !
Oui, « gris » désigne l’Arabe ! Les Français d’hier le savent et vous, M. Besson, vous êtes un homme d’hier et, historiquement, peut-être même d’avant-hier.

Vous pensez que les histoires d’amour entre un homme étranger et une femme française sont des histoires de manipulation, de mensonges, de traîtrise. De sournoiserie ? Vous mettez donc en exergue, sous le voile de votre psychologie de bazar, le vieux cliché de l’Arabe fourbe. Vous pensez aux hommes vis-à-vis des femmes et un peu moins l’inverse. Peut-être du simple fait que la France a démographiquement besoin de « ventres » ? Vous seriez donc un admirateur de ce fameux tableau, l’Enlèvement des Sabines. Les Sabinas Fatima, Rachida, Rama et autres seraient donc les bienvenues. Au diable les Mohamed et Mamadou.

On vous voit venir, M. Besson, du haut de votre mépris pour l’autre et de votre morgue pour la France d’en bas. Sur laquelle vous posez votre loupe pour dénoncer la France du sous-sol : celle de l’immigration. Vous faites croire au peuple que cette couche du dessous sape les fondations de l’identité nationale. L’identité nationale, c’est de faire partie cœur et âme, chair et esprit, du groupe Manouchian, celui d’hier et celui d’aujourd’hui : la résistance d’une France internationale, des citoyens du monde.

C’est tristement drôle, ces grands mots mis en bouclier – « immigration », « insécurité », « islamisation », « ghettoïsation », « paupérisation », « chômage », « communautarisme » – pour dire et dénoncer les émeutes des quartiers « grisâtres ». Il y a toujours eu des pauvres et quand bien même se boufferaient-ils entre eux, ils ont toujours survécu à ces grands mots… « Les grands s’arrangent et les petits se mangent » , dit l’adage. C’est vrai. Mais les quartiers populaires restent des lieux de vie, de fraternité et de solidarité. Les émeutes en sont la preuve. Pour la simple raison, très éloignée de vos grands mots de politologue, que l’on tue leurs enfants ! À chaque fois qu’il y a le feu, c’est qu’il y a eu la mort d’un enfant.

Durant vingt ans, vous et les vôtres avez géré les garçons de Touche pas à mon pote à SOS racisme avec, entre-temps, la Marche des Beurs. Pour les avoir fait marcher, vous les avez fait sacrément marcher : vingt ans de marathon en danse madison, un pas en avant, un en arrière et un de chaque côté. Vingt ans de militantisme n’ont pas tenu face à un fait divers, celui d’un imbécile qui a craqué une allumette et mis le feu à une femme. Pour un imbécile, vous avez sacrifié les milliers de marcheurs vers l’avenir. Ces vingt ans de luttes, de discussions, de colloques et de débats n’étaient rien d’autre qu’un dressage par la foi, la mauvaise, la manipulation d’une masse grise. Pour gagner quoi ? Du temps d’hypnotisme ! Martin Luther King rêvait parce qu’il dormait ! Les Black Panthers, eux, étaient bien réveillés dans le cauchemar du racisme et      de la ségrégation. Nos petits jeunes des banlieues sont des « panthères grises ».

Vous avez endormi vingt ans les garçons ! Au tour des belles au bois dormant maintenant. Aujourd’hui, avec Ni putes ni soumises, vous allez gérer les filles durant vingt ans. Mais la donne n’est plus la même, vous la gérez par l’intoxication en faisant passer, aux yeux des filles, les garçons de leur communauté pour des barbares ratés, des obscurs nuiteux, des matous tous gris dans la nuit de l’obscurantisme religieux, celui de l’islamisation. Première prise ? Fadela Amara drainant Ni putes ni soumises, l’association étant mandatée pour dévoiler les burqas. Joli coup de pêche, toutes ces sirènes en un seul filet.

Vous voulez garder les filles, les femmes, les sœurs, les nièces et les tantes mais pas les hommes. Pourquoi ? Pour que monte la pornographie de ce que vous appelez la démographie : des enfants ! Pourquoi ce besoin de natalité ? La France vieillie se sclérose. Les plus vieux n’ont pas la dignité de faire place aux jeunes, ça s’accroche. Mais cette démographie populaire, il faut l’encourager à être la plus blanche possible en mélangeant du bien blanc avec du gris clair. Votre mariage en est un exemple des plus… clairs !

Alors gardons les ventres pour cette nouvelle immigration venue d’Europe, la blanche et chrétienne des pays de l’Est. Faisons comme avec les Polonais, les Italiens, les Espagnols une nouvelle portée de Français qui ne détonne pas trop, qui ne tache pas trop, qui s’absorbe, se confond, se mélange, se noie et disparaît peu à peu. Exit le jaune, le noir et le gris.

Place à l’élevage, la bouture femelle grise greffée à la vigne blanche. Votre racisme d’État, M. Besson, est limpide. Après les  bienfaits de la colonisation, outre le  « bien fait pour ta gueule » qui n’apparaît qu’en filigrane, voilà venu le temps du triage : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Il vous restera les artistes multicolores et les sportifs arc-en-ciel. Quant à Ni putes ni soumises, qu’elles n’oublient pas que vos ventres sont des cibles et que vos sœurs en luttes jadis préféraient naître ni Fées ni Sorcières ! Vous, M. Besson, je vous tutoie (sous réserve que vous soyez républicain) car le vouvoiement a été guillotiné en 1789, citoyen. Besson ? Maintenant « Baisse (le) son ! »

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