Cancún, des ambitions bien tièdes

La désillusion de Copenhague a provoqué une importante révision des objectifs, et les plus optimistes ne s’attendent qu’à de modestes avancées lors du sommet de l’ONU sur le climat.

Patrick Piro  • 25 novembre 2010 abonné·es

« Un accord contraignant est hors d’atteinte » , prévient d’emblée Fabrice Cytermann, l’un des négociateurs français pour le sommet de Cancún [^2]. Quand la langue diplomatique s’exprime aussi clairement, l’espoir s’éteint… En décembre 2009, le sommet de Copenhague avait rêvé d’une feuille de route imposant à l’ensemble des pays une réduction conséquente des émissions de gaz à effet de serre, mais il avait accouché à la dernière minute d’un texte minimaliste. Une simple ébauche proposant, sur une base volontaire et sans date, de contenir l’augmentation des températures planétaires à 2 °C, et d’aider financièrement les pays les plus pauvres à faire face aux impacts. Officiels et observateurs s’étaient alors rassurés en reportant leurs ambitions sur le rendez-vous mexicain.

Mais, un an plus tard, la méthode Coué a échoué. Les engagements cumulés de réduction de CO2 énoncés après Copenhague conduiraient à un réchauffement moyen de 3,5 °C. « Et le petit souffle de collaboration constaté lors du pic de la crise économique, en 2009, n’est plus d’actualité , relève Emmanuel Guérin, directeur du programme climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). L’antagonisme des deux grandes puissances, Chine et États-Unis, a repris ses droits. Et depuis début novembre nous savons ces derniers paralysés pour des années sur le dossier climat. » Il faut donc envisager d’avancer sans le deuxième pays (après la Chine) émetteur de CO2… « On s’est rendu compte à quel point le problème du climat percutait l’économie, le développement, la géopolitique, etc. » , souligne Sandrine Mathy, chargée de recherche au CNRS et présidente du Réseau action climat (RAC).

Alors Cancún, sans mégaconclave de chefs d’État, se contenterait volontiers de quelques nouvelles initiatives de réductions d’émission, et de voir déboucher des accords dans trois secteurs réputés « mûrs » : l’accès par les moins riches aux technologies propres et, surtout, la lutte contre la déforestation ainsi que la création d’un « Fonds vert » d’aide aux pays pauvres.

Depuis trois ans, les gouvernements réfléchissent à un mécanisme de rétribution des actions combattant le grignotage des forêts tropicales, qui contribue pour 20 % à l’accroissement de l’effet de serre. Un accord semblait accessible il y a un an, facilité par l’élargissement des critères d’accès. Ainsi, ont été rendues éligibles aux financements la réduction des coupes brutes et de la « dégradation » des forêts, mais aussi leur conservation (déforestation « potentielle » que l’on s’engage à éviter), la gestion durable des écosystèmes forestiers et même l’augmentation du stock de CO2 dans les arbres – c’est-à-dire l’accroissement des plantations destinées à l’industrie (eucalyptus, peupliers, etc.) ! Ce mécanisme dit « Redd+ » [^3] verra-t-il le jour à Cancún ? Denis Loyer, conseiller climat à l’Agence française pour le développement (AFD), n’en jurerait pas, « car les négociations ont repris de plus belle en août dernier » . Et Redd+ fera-t-il la part belle, pour son financement, à la création de crédits carbone [^4], dont le risque est dénoncé par les ONG et de nombreux experts ?

Concernant l’aide aux pays du Sud, Copenhague avait prévu de débloquer rapidement 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012. Mais ces fonds annoncés sont-ils réellement additionnels ou dépouillent-ils d’autres budgets indispensables ? s’interrogent les ONG. « Pour la France, l’opacité règne, mais nous avons déterminé qu’il ne s’agit pas d’argent nouveau », estime Romain Benicchio, d’Oxfam international, qui publie un rapport sur le sujet avec le RAC [^5].

Pour le financement de la période 2012-2020, on s’oriente vers la création d’un « Fonds vert ». Fonctionnera-t-il comme une banque unique (comme la Banque mondiale, ce dont le Sud ne veut pas) ? Les États seront-ils seuls à pouvoir y accéder ? En cas d’enlisement de ces questions à Cancún, celle de l’origine des fonds risque de passer au second plan. Il faut trouver 100 milliards de dollars par an. Dons, prêts, crédits carbone ? Romain Benicchio s’alarme de constater qu’à peine 10 % des sommes annoncées sont dédiées à l’adaptation au dérèglement climatique, préoccupation première du Sud.

Bridée par de bien modestes prétentions, la réunion de Cancún accroît-elle ses chances d’avancer ? Rien n’est moins sûr, car les négociateurs ont pris soin d’armer un « piège de Copenhague » en s’accordant sur la nécessité d’obtenir « un paquet de décisions équilibrées » . Ce jargon signifie que personne n’entend lâcher sur ses intérêts. C’est donc un marchandage classique qui se prépare, notamment entre des mesures « Sud » (finances, forêts) et « Nord » (mesure et vérification des émissions du Sud). « On entend déjà la menace “un paquet sinon rien” » , s’inquiète Denis Loyer.

Avec une pomme de discorde toute trouvée : le protocole de Kyoto. Unique accord contraignant sur les émissions à ce jour, il engage 36 pays industrialisés à réduire leurs émissions de 5,2 % par rapport à leur niveau de 1990, d’ici à 2012. Comme il est devenu illusoire qu’un nouvel accord plus complet prenne le relais à cette date, les pays du Sud poussent à sa prorogation pour une deuxième période d’engagement. Seule l’Union européenne n’y semble pas hostile, « mais pas sans contraintes juridiques » , précise Fabrice Cytermann. Autant dire que cette piste reste bouchée.

[^2]: Il rassemblera les quelque 190 pays signataires de la Convention sur le climat lancée en 1992 à Rio.

[^3]: Acronyme anglais pour « réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts », le « + » désignant les critères additionnels introduits au fur et à mesure.

[^4]: Titres financiers basés sur des hectares de « déforestation évitée ».

[^5]: Rapport « Quai des brumes », voir www.rac-f.org

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