Brice Lalonde : « C’était ça ou rien »

Entretien avec Brice Lalonde, ambassadeur français pour les négociations sur le climat depuis 2007.

Patrick Piro  • 16 décembre 2010 abonné·es

Politis : L’accord de Cancún a été arraché in extremis, samedi dernier, à 4 heures du matin. Qu’est-ce qui a permis de débloquer la situation ?

Brice Lalonde : Nous avons frisé l’échec, ce qui a provoqué une réaction salutaire. Les négociateurs avaient conscience qu’après Copenhague un échec aurait fourni aux détracteurs du processus onusien « la preuve » de son incapacité à produire des résultats. C’était ça ou rien. L’accord a été rendu possible par la substance des négociations – il y a quelques avancées, certes limitées –, mais aussi le savoir-faire de la présidence mexicaine de la conférence. Elle a notamment laissé aux négociateurs la maîtrise du processus, alors qu’à Copenhague les chefs d’État avaient pris la main dans les derniers jours. On croit souvent que l’intervention des politiques est indispensable. À tort. Cancún restera ainsi comme une leçon de méthode. Et, paradoxalement, Copenhague apparaît désormais comme un demi-succès : les engagements restés en suspens l’an dernier ont fortement inspiré les travaux de Cancún, et l’accord les a avalisés.

Il y a un fossé entre le niveau d’action requis et les promesses des pays. Les sommets de l’ONU sont-ils compétents pour résoudre la crise climatique  ?

L’ONU légitime les positions. Mais ce n’est pas là que naît l’action, c’est au sein des politiques nationales, des collectivités, de la coopération technique, etc. À Cancún, les engagements de réductions d’émissions restent insuffisants, mais l’accord prépare la suite des négociations, révèle une prise de conscience, transmet de la confiance. Les points de vue se sont rapprochés.
À Cancún, le Japon a mis le protocole de Kyoto en sursis en refusant de signer pour de nouvelles réductions d’émissions au-delà de 2012. Un vrai péril ?
Oui, si cela signifie la disparition de tout instrument juridique
sur le climat, dont le protocole est à ce jour le seul doté.
Cette position force les États à négocier très vite pour décider
de son sort au sommet de Durban l’an prochain ; et pour hâter
peut-être la définition d’un nouveau protocole, qui ne serait plus restreint aux pays industrialisés, les seuls à être soumis
à des objectifs par Kyoto. On s’attend donc à des moments difficiles…

Les négociations sur le climat ne manquent-elles pas d’un leader ?

C’est vrai, mais cette fonction est en partie assumée par plusieurs acteurs. L’Union européenne s’est montrée très utile dans le dialogue de Carthagène, groupe informel de pays qui a tenté de combler le fossé entre les coalitions après Copenhague. Les États-Unis ont joué à Cancún un rôle plus important que ce qu’on imagine. Surtout, les grands émergents – Brésil, Chine, Inde, Mexique – ont été très actifs. C’était déjà le cas à Copenhague, mais ils prennent désormais leurs responsabilités. Le ministre indien de l’Environnement, Jairam Ramesh, entre autres, s’est révélé une personnalité clé de Cancún.

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