Le conseil déministre

Alain Ade  • 17 février 2011 abonné·es

Ce jour-là, en Tunisie, le ministre des Missionnaires [^2] quittait l’éphémère gouvernement mis en place après le départ du dictateur. En France, au même moment, la ministre des Beaux Nerfs avait proposé devant l’assemblée des représentants du peuple d’initier la police tunisienne au maniement efficient des matraques, grenades lacrymogènes, canons à eau et nerfs de bœufs dont regorge le pays des droits de l’homme.

Sur le banc du gouvernement, le ministre des Corps hâtifs paraissait somnoler. En réalité, quelque chose le turlupinait. On m’a diabolisé à propos de mes boxeurs de Bangkok, s’indignait-il en silence, ce n’est pas ma faute si le diable est dans le dadais thaï ! Et maintenant on me reproche ma proximité avec le régime honni ! Veut-on faire de moi une sorte de ministre des Péchés ? Faudrait-il que je me taise, que j’entame une traversée du désert, que je devienne un ministre des Chauds Sables que l’on prive de prendre son pied ?

Non loin de lui, le ministre des Tachés à la fonction publique dormait vraiment. Il rêvait, à l’opposé de son collègue, de faire couler beaucoup d’encre à son propos. On ne parlait jamais de lui. Ses dossiers n’intéressaient personne. Les cas qu’il traitait étaient trop ordinaires. Il n’était que le ministre des Cas laminés alors qu’il aurait voulu être le ministre des Cas potables.

Au bout du banc, la ministre du Développement du râble prenait des notes. Tous ces lapins posés (certains sur son bureau) par des collègues aguerris, tous ces coups bas – les plans infantiles du ministre des Jouets, le comportement autoritaire du ministre des Spots, entre autres –, elle en avait assez. Elle avait décidé de proposer une alliance secrète au ministre des Veaux, marié à la ministre des Votes, les seuls à croire en quelque chose. Ce qu’il fallait, c’était créer un poste de ministre des Coups verts et se mettre enfin les écologistes dans la poche. Les vrais, pas les rombières à bichon. Pour faire moderne, on l’appellerait le ministre des Croissants.

Le ministre de l’As hanté faisait une réussite. Les ventes d’armes et l’apprentissage de leur maniement ne l’intéressaient guère. Il était d’accord pour que l’on casse du manifestant au Maghreb mais préférait de loin les jeux politiciens français. En tant que ministre des Personnes alitées, il pouvait sûrement faire une tournée des hôpitaux et ramasser les voix des malades. Il menait sa barque en vue des deux élections à venir. Les seules, les vraies : les présidentielles. Si cette barque devait prendre l’eau en 2017, en revanche, il ne laisserait personne écoper à sa place en 2022. Son adjoint, le sous-ministre des Biles et pas que des Foies, l’avait mauvaise. Il était tenu de soutenir son patron, solidarité ministérielle oblige. Il aurait, et de loin, préféré soutenir la ministre des Menthes, qu’il trouvait rafraîchissante, mais encore plus la ministre des Bas racés.

Carrément ailleurs, le ministre des Six Dés faisait un 10 000 avec le ministre des Six Ifs. Le perdant s’était engagé à offrir au gagnant un voyage à Douz, aux portes du Sahara tunisien. Les voyant s’amuser gentiment, leur collègue des Six Mets leur proposa un apéro à la fin de la séance. Le ministre des Bordées, malgré son emploi du temps chargé, venait de lui faire livrer un petit vin cuit de derrière les fagots, ils allaient lui en dire des nouvelles !

En pleine messe basse avec le ministre des Crochets, le ministre des Bouchers déblatérait sur les projets de la ministre des Voilées. Il n’était pas certain que cette dernière mettait le zèle nécessaire à la stricte application de la loi sur le foulard. Il n’était guère surpris : elle venait de la société si vile ! Il faudrait qu’il en parle au garde d’Esso. Celui-ci, tel un tigre aux aguets, surveillait tout ce petit monde ambitieux. Il se méfiait de ce clown de ministre des Boules au nez, qui briguait dorénavant le ministère des Chiffes au nez. En tout cas, il n’allait pas réitérer sa bourde de l’an passé : il avait demandé conseil au ministre des Brouillards. Il en était résulté un carambolage massif sur les autoroutes. La presse satirique l’avait surnommé « le ministre des Cars cassés ».

Mais l’important, pour tous, restait de ne pas avoir dans les pattes le ministre des Cars Beaune-Arras (une crème, pourtant). Mieux valait s’allier avec le ministre des Cars otages. Celui-là s’entendait si bien avec le ministre des Chics Thés que le Premier ministre allait bientôt leur confier le ministère des Monstres hâtifs.

À la fin de la séance, le ministre des Pliants fit ranger les chaises. Tout le monde rentra à la maison sous la conduite du ministre des Cons tractés. On aurait dit un improbable ministère des Fous raillés. En tête, le ministre des Cons sidérés, en queue le ministre des Comptes à minets et son sous-ministre des Cales à minets, une sorte de secrétaire des Tas, souffrant de son homonymie avec le ministre des Cas laminés.
La nuit leur fut douce. En revanche, vers trois heures du matin, l’opérateur synthé de la télévision se réveilla, une sueur glacée perlant à son front.

[^2]: Le 18 janvier 2011, le JT de France 2 annonçait la démission du gouvernement tunisien de deux ministres nommés la veille, Abdeljellil Al Badaoui et Hassine Dimassi, avec pour chacun, cette incrustation : « ministre des Missionnaires ».

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