Dans la prison de Nantes

Hervé Bompard-Eidelman  • 10 mars 2011 abonné·es

Le président de la République, une fois de plus, l’a joué dramaturgie politicienne calculée et sordide dans l’affaire de la jeune fille assassinée, une sorte de « je vous comprends, faites-moi confiance, je vais vous la créer, moi, la société idéale zéro risque, zéro infraction, zéro mort, zéro accident, zéro maladie, zéro problème de la vie quotidienne, zéro prof qui fait chier, zéro juge qui m’emmerde, zéro syndicat qui nous pourrisse le libéralisme du plus fort qui gagne et tant pis pour les faibles ». Écoutons le Président : « La réussite et la promotion sociale ne sont pas un dû que chacun peut réclamer en faisant la queue au guichet » (université d’été de l’UMP à La Baule, 4 septembre 2005). Et aussi : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit. » Qu’ils crèvent tous. Zéro otage au Mexique, zéro jeune dans les banlieues, zéro chômeur – Si, je peux ! Si je veux, je peux, pauv’con – zéro vie réelle, zéro pauvre – en taule, les pauvres – je vais vous la créer, moi, d’ici 2012, cette société où on se fout tous sur la gueule avec « la Loi du talion » et « l’Art de la guerre urbaine » comme livres de chevet, cette société barbelés et bruit de bottes dont vous rêvez comme des abrutis que vous êtes, où mes Forces de répression arrosent de gaz lacrymogène des braves gens venus faire un sit-in pacifique sur un quai de gare, massacrent à coup de pare-chocs un voyou en scooter (deux, d’ailleurs), ne laissent comme seul choix à deux gamins effrayés que de se faire électrocuter dans un transformateur haute tension.

Zébulon Ier a dit (emprunté à Christophe Alévêque, vas-y Christophe, fous-y en plein la tronche à la « droite décomplexée ») : « Je veux parler à la France qui ne brûle pas les voitures, et ne bloque pas les trains, parce que cette France-là a le droit d’être entendue, respectée et considérée. » Et aussi : « L’augmentation des plaintes [pour des bavures], ça ne veut pas dire qu’il y ait une augmentation des bavures » (Marseille, 11 juillet 2005).

Je vais l’exploiter, votre trouille de vivre, je vais la faire fructifier grâce à votre ignorance crasse et à votre connerie, votre peur de l’islam, comme du temps des Soviets le couteau entre les dents, votre redoutable chiasse de peureux de vous secouer les miches – comme nos Sœurs et Frères de là-bas qui osent, eux – pour lutter contre votre bassesse, pour dire non à la peur et oui à la solidarité, à la mise en commun, oui à la vie réelle telle qu’elle est et non pas telle que vous la fantasmez, bande de nases que vous êtes, et pour ça, je vais sortir de mon rôle, de ma fonction et de ma mission de président de la République française dans cette affaire de la jeune fille assassinée, de la joggeuse violée, des histoires horribles mais qui ne dépassent pas la vingtaine par an et qui méritent de la discrétion, de la dignité, de la retenue et un traitement particulier, et pas que je me vautre dedans avec cette toute petite partie de la France qui regrette le Maréchal, tout ça pendant que plus de quatre millions de crimes et délits sont commis chaque année en France et que les violences aux personnes ont augmenté de 6 % et celles sur les femmes de 16 % en 2010.

Je vais abandonner toute dignité, tout savoir-vivre, toute considération pour les institutions républicaines, tout respect pour la politesse, pour les convenances, pour les règles de vie en commun, et me transformer encore une fois en chef de bande, en tyran de pacotille peut-être, mais ça suffit à vous filer les foies, en petit maître incontesté de la cour de l’école, c’est-à-dire comme j’ai transformé la France. La rupture, quoi. La jouer cow-boy adolescent capricieux, shérif du comté, justicier comme dans les westerns des années 1950.

Dans la prison de Nantes, il y a désormais une surpopulation qui dépasse toutes mes espérances, 280 places, 490 salopards, des matelas qui s’entassent par terre partout, 6 par cellules de 20 m², et c’est loin d’être fini. Écoutons le chef du personnel de l’Élysée-Club : « Les critiques du système américain dénonçant la surpopulation carcérale, je n’ai jamais compris cet argument car, après tout, mieux vaut voir les délinquants en prison que dans la rue ! » ( Libre , Laffont, 2001). Ce qui me fait marrer, c’est qu’il y a même des cons qui avaient voté pour moi, là-dedans, qui se croyaient au-dessus des lois comme moi, avec mes sondages payés dix fois leur valeur à mon pote, mon fils à l’Epad et président du conseil général des Hauts-de-Seine, mon « premier cercle », à qui je promets de mettre l’État à leur service en fonction de ce qui les arrange – allez-y, servez-vous, mes amis, c’est les pauvres qui paient – et tout ça parce qu’ils ont leur carte de l’UMP. Les cons. Et attendez-vous à encore mieux, comme loi : les dégénérés mi-homme mi-bête (les humanimaux, on dit entre nous) qui refuseront d’aller à l’hôpital psychiatrique pour se soigner, eh bien on pourra les forcer grâce à la nouvelle dénomination que mes spécialistes à moi de la psychiatrie façon une autre époque, où on testait des trucs, ont trouvée : « le péril imminent » . Attends, y’a mieux ! La « garde à vue sanitaire » de soixante-douze heures, où on pourra enfermer quelqu’un sans son consentement, donc vous, bande d’abrutis que vous êtes. C’est l’arbitraire répressif étendu à la psychiatrie. Les tarés… Posez vos couilles sur la table et sortez-vous les doigts du cul ! Du Stéphane Hessel dans le texte, façon Mélenchon, nom de nom ! Mais merde ! INDIGNEZ-VOUS !

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