Bons à rien ou mauvais en tout ?

Dans un marché de l’emploi hermétique, les jeunes travailleurs, déconsidérés par tous, dépriment. Méprisés par les politiques et pour le plus grand bonheur des employeurs…

Pauline Graulle  • 28 avril 2011 abonné·es

Le caissier du McDo, la pigiste de France 2, l’ouvrier apprenti, le commercial en alternance… Tous différents, mais tous unis dans un même destin : la crise. Même si certains la voient de plus près que d’autres : trois ans après la sortie des études, moins de 10 % des diplômés du supérieur en 2007 continuaient de pointer à Pôle emploi en 2010… contre près de 40 % chez les jeunes sans qualification [^2] ! En attendant une hypothétique éclaircie, les 16-30 ans continuent donc d’affluer, de plus en plus nombreux, aux portes d’un marché de l’emploi de plus en plus saturé. « Personne n’ose le dire, mais la vérité, c’est que, structurellement, il n’y a pas assez de travail pour tout le monde , affirme Grégoire Tirot, auteur d’un pamphlet sur le sujet [^3]. D’un côté, il y a un besoin de recrutement d’environ 600 000 jeunes par an  [^4], de l’autre, 740 000 personnes qui sortent chaque année du système éducatif, et, au bout du compte, 140 000 personnes qui se retrouvent sur le carreau. » Une jeunesse variable d’ajustement des besoins économiques du pays et qui, par temps de crise, « forme comme une file d’attente au seuil du monde du travail, avec, tout au bout, les moins qualifiés qui voient les postes auxquels ils prétendaient occupés par des plus qualifiés qu’eux » , résume la sociologue du travail Béatrice Delay (voir entretien page 21).

Le chômage pour un quart des actifs de moins de 25 ans (contre un peu plus de 9 % pour l’ensemble de la population), le déclassement pour un autre quart [^5], et une petite élite qui leur dame le pion. Cette triste « lutte des places » qui commence dès l’école a d’abord pour effet l’impossibilité d’opposer un front uni aux difficultés. « Chacun a tendance à rester dans son coin avec ses angoisses, rapporte Laure Delair, responsable de questions relatives au travail à l’Unef. Les jeunes restent persuadés qu’ils sont des bons à rien, que c’est leur faute s’ils ne trouvent pas de boulot. On les prive d’utilité sociale et, du coup, ils ont une image d’eux-mêmes très négative. »

Ce qui n’est pas pour déplaire au patronat. Quel meilleur moyen en effet que le chômage de masse pour bénéficier d’une main-d’œuvre au rapport qualité/prix imbattable ? « À la fin des études, on est dans un angle mort, on n’a pas de RSA ni de chômage, alors on accepte le premier emploi qu’on trouve » , pointe Laure Delair, qui juge qu’une allocation d’autonomie pourrait équilibrer un peu le rapport de forces. « Il y a une grande hypocrisie du côté des employeurs, ajoute Grégoire Tirot. Ils surlignent à dessein les défauts de ce qu’ils appellent la “génération Y” – qui aurait prétendument des problèmes avec la hiérarchie, une vision instrumentale du travail, et qui serait obsédée par l’argent – pour mieux justifier les mauvaises conditions de travail qu’ils lui font ! »

Des jeunes exploités, vilipendés, désœuvrés, déprimés… Mais que font les parents ? Si eux aussi triment (un peu moins, certes), les politiques, eux, « nous considèrent soit comme des gens violents, soit comme des gamins, grince Laure Delair. Il n’y a qu’à voir la manière dont nous avons été infantilisés pendant les mobilisations pour les retraites [quand le gouvernement criait à l’instrumentalisation des jeunes par la gauche, NDLR].  » « L’âge moyen des parlementaires est de plus de 60 ans, rappelle Grégoire Tirot. La classe politique est complètement coupée du monde du travail et des jeunes en général, pour lesquels elle considère que la galère fait partie de l’ordre des choses. »

Et de fait, les mêmes qui ont bénéficié du plein-emploi ont inventé tour à tour l’intérim (1973), le CDD (1979), les contractuels dans la fonction publique (1984), le CNE, comprenant une période d’essai de deux ans et la possibilité de licencier sans motif (de 2005 à 2008), le CPE (mort-né en 2006) et, depuis 2008, le statut d’auto-entrepreneur, cerise sur le gâteau de cette entreprise de démolition du statut de salarié. Résultat, aujourd’hui, 34 % des 15-29 ans occupent un emploi précaire, contre 9 % des 30-49 ans [^6]. Sans parler du recours aux stages, ce travail gratuit (ou quasi) qui concernerait chaque année, selon les estimations de Génération précaire, environ 1,2 million de jeunes étudiants et professionnels. « La lente et continue dégradation des conditions de travail se fait toujours au détriment des nouveaux entrants dans le monde du travail, explique Grégoire Tirot. Ce qui fait qu’il y a une prime, non au mérite comme le voudrait un système républicain, mais à l’ancienneté. La France est devenue une “gérontoclassie”. »

Une situation d’autant plus paradoxale (et objectivement injuste !) que les jeunes sont bien plus formés que les générations précédentes. Et qu’ils pressentent que, pour eux, les règles du jeu ne seront plus les mêmes : « L’entrée sur le marché du travail ne garantit plus qu’on va y rester, note Béatrice Delay, on peut avoir des retours en arrière, retomber au Smic ou être licencié, se retrouver en l’intérim après un CDI » . Sans même parler de ce que sera devenue leur retraite…

[^2]: C’est sept points de plus que pour ceux arrivés en 2004. Source : Cereq, 2011.

[^3]: France anti-jeune. Comment la société française exploite sa jeunesse, Max Milo, 2008, 256 p., 18 euros.

[^4]: Prévision pour 2014, réalisée par le Bureau d’information et de prévision économique (BIPE).

[^5]: Voir les travaux de Camille Peugny sur le déclassement.

[^6]: Source : Insee, 2009.

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