Côte d’Ivoire : « La probabilité d’un conflit ethnique est très faible »

En quatre jours, les forces armées pro-Ouattara ont pris le contrôle de la quasi-totalité de la Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo est en fuite et la société civile se tourne déjà vers l’après crise.

Erwan Manac'h  • 1 avril 2011
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Côte d’Ivoire : « La probabilité d’un conflit ethnique est très faible »
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Les combattants pro-Ouattara sont à Abidjan. Partis lundi du nord du pays, ou le vainqueur de l’élection présidentielle – reconnu par la communauté internationale – s’était retranché, ils ont rapidement fondu sur tout le pays.

Sans soutiens sur la scène internationale, réprouvé par l’Union africaine, Laurent Gbagbo n’a pas pu s’accrocher au pouvoir et a fui, ce vendredi, vers une destination inconnue. Mercredi, l’ONU avait adopté à l’unanimité une résolution demandant son départ immédiat, mais le camp Gbagbo s’était retranché dans Abidjan avec le soutien d’une partie de la population ivoirienne, laissant craindre un « bain de sang » dans la capitale économique.

La chute rapide de Laurent Gbagbo dissipe en partie ces craintes ; les représentants de la société civile se tournent désormais vers l’après crise avec l’ancien directeur adjoint du FMI, Alassane Ouattara, à la présidence.

Légitimité démocratique

À l’issue du scrutin présidentiel de novembre 2010, Alassane Ouattara a été élu à 54 % des voix, avec une forte participation des électeurs, d’après les chiffres reconnus par l’ONU. Pour chasser par la force Laurent Gbagbo, qui s’accrochait au pouvoir, Alassane Ouattara a dû constituer une armée avec l’appui de groupes rebelles qui tiennent le nord du pays depuis 2002.

Mais « Alassane Ouattara risque d’être l’otage des rebelles avec qui il a dû s’allier , s’inquiète Patrick N’Gouan, coordinateur de la Convention de la société civile ivoirienne (CSCI), de passage à Paris ce jeudi à l’invitation du CCFD-Terre Solidaire (voir encadré). C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent le soutien persistant d’une partie des Ivoiriens envers Gbagbo, malgré son manque de légitimité : ils n’ont pas confiance dans les rebelles armés qui se sont alliés à Ouattara, ils ont commis trop de crimes. »

Patrick N’Gouan

Patrick N’Gouan, au CCFD (Paris), jeudi 31 mars 2001.


D’après le décompte onusien, les quatre mois de crise ont fait plus de 460 victimes et déplacé près d’un million de personnes.


La réconciliation de la Côte d’Ivoire s’annonce donc difficile pour M. Ouattara, qui devra tenter de faire sans son bras droit, Guillaume Soro, qui l’a aidé à conquérir le pouvoir. Car le chef de file des rebelles a du sang sur les mains : « il y a une liste de crimes depuis le début de la rébellion sur laquelle il ne faudra pas faire l’impasse , estime David Mauger, de l’association Survie. Et il faudra aussi mettre en place un processus de réconciliation qui passera par un désarmement des rebelles. Il reste donc à savoir si Ouattara aura l’autonomie suffisante pour cela… et s’il en aura la volonté. »

Une crise politique, ni ethnique ni religieuse

Réunis à Paris par le CCFD, deux représentants de la société civile écartent l’éventualité d’un conflit ethnique ou religieux en Côte d’Ivoire. Pour eux, le conflit actuel puise sa source dans la crise économique qui étouffe le pays depuis trente ans.

« Depuis le début de la crise, nous n’avons pas vu une population s’opposer à une autre. Les violences sont commises par des fausses armées ou des milices , observe Drissa Traoré du Mouvement ivoirien des droits humains. Tout ce qui se passe est une question politique pure. Il n’y a pas vraiment d’opposition chrétiens-musulmans ou nordistes-sudistes. La probabilité qu’un conflit ethnique émerge est très faible. »

Drissa Traoré

« Le système d’agriculture extensive d’exportation a appauvri le pays » , estime Patrick N’Gouan. Le premier producteur mondial de cacao, frappé par la déforestation, est tenaillé par « des tensions foncières et à caractère économique. Le nombre de personnes pauvres a été multiplié par dix en l’espace d’une génération.»

À long terme, la pacification de la Côte d’Ivoire passera donc, pour le militant des droits humains, par une politique de développement en rupture avec les Programmes d’ajustement structurels. Ces derniers, mis en place depuis 30 ans sous l’égide du Fonds monétaire internationale (FMI), font une trop grande place au secteur privé. « Il faudra que l’État intervienne , prévient Patrick N’Gouan. Mais cela suppose une réforme démocratique profonde pour mettre fin à la corruption. » L’ancien membre haut placé du FMI, Alassane Ouattara, aura-t-il les moyens et la volonté de négocier un tel virage ?

Photo : AFP / Jean Philippe Ksiazek

Monde
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