Premiers pas vers un accord programmatique ?

Face au risque d’un second tour Le Pen-Sarkozy, l’idée d’une union de la gauche au premier tour fait son chemin. La discussion sur le programme paraît à ce stade plus pertinente que celle sur le candidat. Comment éviter de signer un chèque en blanc au candidat du PS ?

Ivan du Roy  • 28 avril 2011 abonné·es
Premiers pas vers un accord programmatique ?
© Photo : AFP / Desmazes

L’ombre du 21-Avril enténèbre le paysage politique. Un an avant l’échéance, le spectre d’un second tour opposant Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy rend le climat anxiogène à gauche. Cette noire perspective n’empêche pas d’iconoclastes appels de fleurir. Il y a celui du 21-Avril, lancé par des responsables de radios (Génération, Beur FM…), des militants de quartier, d’organisations étudiantes ou des membres de la Fondation Terra Nova, proche du PS. « Nous refusons de voir le pouvoir changer de camp sans rien changer ou presque de nos vies. Il est temps de prendre la mesure de l’exaspération populaire, et de lui offrir une alternative au vote protestataire, qui soulage mais ne construit rien » , lancent-ils, appelant la gauche à « la désignation d’un candidat unitaire dès le 1er tour, grâce à des primaires ouvertes » . Une occasion pour sortir « du bunker partisan » et « fracasser le prêt-à-penser habituel » . Un « pacte générationnel » est même en cours d’élaboration, contre cette « guerre sans nom, sans chef ni armée identifiés, mais d’une violence sociale extraordinaire , [qui] fait un nombre de victimes chaque jour grandissant : la guerre des générations » (voir notre dossier).

Démarche similaire chez le collectif « 2012, même pas peur », qui propose à chacun d’exprimer ses « refus » et « aspirations » dans une sorte de cahier de doléances numérique. Des personnalités de la mouvance altermondialistes, dont Stéphane Hessel, Susan George ou Patrick Viveret ont, eux aussi, lancé un appel « pour une insurrection civique » . « Il faut que le “peuple de gauche” puisse débattre et décider de ces politiques avec pour objectif d’établir les priorités à satisfaire pour les mois et les années à venir. La société française a beaucoup plus besoin de primaires sur le programme que de primaires sur le candidat » , écrivent ces insurgés civiques (lire ci-contre un large extrait de leur appel). Jeunes, altermondialistes ou internautes citoyens, tous ont le même objectif : discuter du fond, imaginer des solutions, écrire un véritable scénario de sortie de crise au lieu de se déchirer sur le casting.

Éviter le pire, c’est d’abord empêcher l’élimination du candidat de gauche au premier tour. « L’affreux paradoxe est que ce risque sera d’autant plus fort que les petits candidats feront une bonne campagne et approcheront d’un score à deux chiffres ! » , avertit l’écologiste Alain Lipietz. Comme le 21 avril 2002, où les six candidats de gauche non-PS, des trotskistes aux écologistes, en passant par Jean-Pierre Chevènement, totalisaient près de 26 % des voix (contre 16 % pour Lionel Jospin). Pour Sarkozy, affronter Le Pen au second tour, serait, malgré son impopularité, un billet quasi assuré pour l’Élysée. Éviter le pire, c’est aussi ne pas se laisser prendre en étau entre ce scénario catastrophe et un vote utile en faveur du candidat socialiste. « Dans ce cas, toutes les voix critiques à gauche passeraient à la trappe au profit d’un réalisme électoral que l’on peut comprendre mais qui ne prépare pas l’avenir » , alerte le syndicaliste Pierre Khalfa, signataire de l’Appel pour une insurrection civique. Car ces primaires, qu’elles soient ouvertes ou programmatiques, profiteront de fait à un candidat issu des rangs socialistes. Comment, alors, éviter de lui signer un chèque en blanc ? Et prévenir une désillusion qui aura probablement des effets encore plus ravageurs que celle qui a suivi le 10 mai 1981 ? « Pour que l’on puisse mobiliser les gens après l’élection, il faut les préparer avant, répond Pierre Khalfa. Et imposer le débat sur la gravité de la situation et les solutions pour en sortir : sur la dette publique, le partage de la valeur ajoutée, le rapport à la mondialisation, le rôle de l’Europe, les réponses illusoires de Marine Le Pen et les fausses solutions social-libérales. »

L’ambition : lancer une dynamique similaire à celle qui a animé la campagne du référendum sur le traité constitutionnel européen, en organisant des réunions publiques communes « dans tous les quartiers populaires, dans toutes les villes et villages » . Ensuite, « le peuple de gauche » serait invité à hiérarchiser les propositions, pour constituer une véritable « feuille de route du quinquennat ». « Un bon accord programmatique à gauche peut casser les reins au populisme » , positive Alain Lipietz. On en est loin.
Pour l’instant, l’Appel à une insurrection civique ressemble plus à une « bouteille à la mer » lancée par des militants du mouvement social, consternés par la tournure que prennent les événements. « Si une alternative avait percé à gauche du PS, nous n’en serions pas là » , glisse Pierre Khalfa, faisant référence à l’échec de toute tentative de rassemblement, en particulier en 2007. Du côté des appareils, au NPA ou chez les composantes du Front de gauche, on observe pour l’instant avec une certaine condescendance ces appels fleurir. Pour Alain Lipietz, « ce message doit être entendu avec respect. Nos électeurs et nos sympathisants ne nous suivront pas si nous leur faisons prendre des risques inconsidérés » .

Plusieurs leaders d’Europe Écologie-Les Verts envisagent d’ailleurs l’éventualité d’un désistement dès le 1er tour en échange d’un accord électoral aux législatives. Quant au PS, reste à voir s’il acceptera de s’ouvrir au débat contradictoire ou s’il se satisfera de cette promesse de vote utile et de semblant d’hégémonie retrouvée.

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