Maintenant, on radie par e-mail

Pôle emploi généralise les courriers électroniques dans sa correspondance avec les usagers. Une méthode virtuelle et donc dangereuse, et qui risque de pénaliser les plus fragiles. Lire aussi Les radiés du chômage, sur le blog de Thierry Brun.

Anne Solesne Tavernier  • 8 septembre 2011 abonné·es
Maintenant, on radie par e-mail
© Photo : Le Bot / Photononstop

«Amis chômeurs, attention ! Ne confiez pas votre adresse mail à Pôle emploi : vous risquez, entre autres, une radiation pour absence à convocation », lançait au mois d’août le site actuchomage.org [^2].

Plus généralement, Forums et sites Internet ont alerté les demandeurs d’emploi d’un nouveau danger, venant de la dématérialisation des courriers envoyés aux demandeurs d’emploi, entamée en juin par Pôle emploi.


« En me connectant à mon espace personnel après avoir eu des problèmes avec mon fournisseur d’accès à Internet, j’ai constaté que j’avais raté un rendez-vous avec mon conseiller. On ne m’a jamais dit que j’allais recevoir mes courriers par mail ! Et quand je me suis rendu à mon agence pour m’expliquer, on m’a dit que, si mon problème avait persisté, j’aurais pu être radié », explique ce chômeur parisien étonné de ne pas avoir été averti comme d’habitude par voie postale.



Une note du collectif « Autres chiffres du chômage » apporte un éclairage complémentaire à notre enquête sur Pôle emploi et la hausse des radiations administratives par e-mail. Lire, sur le blog de Thierry Brun.


Pôle emploi, qui vient d’augmenter le nombre des courriers envoyés par mail, se garde bien d’informer les chômeurs des risques qu’ils encourent. Le service public accélère la modernisation de ses services « pour contribuer au développement durable » et faire des économies de temps et d’argent, quitte à laisser des usagers sur le bord du chemin.


Car le tout-e-mail n’est pas sans conséquences pour les demandeurs d’emploi, qui sont effectivement encouragés à donner leur adresse électronique dès leur inscription, et à valider leur adresse quand ils sont déjà inscrits. Des « incidents vont faire qu’il n’y aura pas une grande fiabilité », remarque la sociologue et syndicaliste du SNU-Pôle emploi Sylvette Uzan-Chomat.


Le syndicat, majoritaire à Pôle emploi, dénonce un dispositif « insuffisamment sécurisé », et qui a été décidé sans que les instances représentatives du personnel n’aient été consultées. Il « générera des radiations intempestives non justifiées », du fait notamment que l’avertissement avant radiation, qui laisse quinze jours au chômeur pour contester sa sanction et se justifier, est également envoyé par e-mail.


Le SNU et le site actuchomage.org mettent d’ailleurs en parallèle la progression du nombre de radiations administratives (+ 25 % en juillet 2011) avec l’augmentation du nombre de courriers concernés par la dématérialisation. Ainsi, 47 900 chômeurs ont été rayés des listes en juillet, un chiffre équivalent au plus haut niveau du début de l’année. L’utilisation habile des nouvelles technologies pourrait donc jouer sur les chiffres du chômage, estiment syndicats et associations de chômeurs. Surtout, « les plus en difficulté seront les plus pénalisés », juge Sylvette Uzan-Chomat.

L’utilisation du mail dans les correspondances suppose que les demandeurs d’emploi disposent d’une connexion Internet et d’un équipement informatique (ordinateur, imprimante) fiables. Et qu’ils « consultent leur “espace personnel” quotidiennement… », ajoute actuchomage.org. Or, tous n’ont pas le matériel dernier cri ou les moyens d’accéder à ces technologies.


Avoir une connexion Internet ou un ordinateur n’est de plus nullement obligatoire. Aussi, les personnes isolées, dans les situations les plus précaires, ainsi que les seniors, risquent d’être les premiers pénalisés. « Si vous ne pouvez matériellement et financièrement vous plier à l’injonction technologique, non seulement vous n’avez pas accès à l’ensemble des services — pour certains, il faut appeler le 3949 –, mais vous vous exposez à des désagréments ! », constate actuchomage.org.


La correspondance par e-mail soulève aussi quelques questions. Comment justifier une connexion défaillante ou le passage dans les spams d’une convocation par courriel ? Que faire en cas de problème technique, de bug (côté usager ou Pôle emploi) ?
Pour l’instant, les chômeurs peuvent encore se déplacer dans leur agence pour régulariser leur situation, pour peu qu’ils n’aient pas affaire à un agent trop rigide. À terme, si tout doit se faire par mail, quels recours les usagers auront-ils à leur disposition ? Les démarches sont « trop lourdes pour les personnes les plus faibles », répond Sylvette Uzan-Chomat. Le SNU-Pôle Emploi dénonce une « déshumanisation », une « mise à distance entre le personnel du service public et ses usagères et usagers », tandis que les associations de chômeurs soulignent que Pôle emploi, service de proximité, s’éloigne de plus en plus d’eux.


Sylvette Uzan-Chomat déplore « le manque d’écoute, le manque de réactivité » de la communication par mail. La sociologue conclut : « On enlève une partie de leurs droits aux demandeurs d’emploi. Le service public, qui devrait les aider, devient persécuteur. »


[^2]: Site de l’association Alternatives pour une nouvelle économie de l’emploi.

Travail
Temps de lecture : 4 minutes

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