« Tu nous empestes les cabinets »

Jean-Michel Véry  • 27 octobre 2011 abonné·es

«Gérard, ta mère en a trouvé dans tes poches et tu nous empestes les cabinets. » À l’époque, Coluche faisait marrer tout le monde sur le sujet, à caution, comme disait le juge d’instruction. Aujourd’hui, Jean-Michel Baylet prend le relais, en moins drôle, et s’attire les foudres de ses partenaires mais aussi de la future opposition. Son idée qui déplaît ? La légalisation du cannabis. Comme avant lui Nöel Mamère, Daniel Vaillant ou Stéphane Gatignon. Nouveauté : loin des «  cannabistrots  » de Mamère, le président du Parti radical de gauche prône, lui, la vente libre du «  chichon  » en pharmacie.

Fortement secoué lors du premier débat des primaires par Arnaud Montebourg et Manuel Valls sur cette résineuse question, JMB fait l’unanimité contre lui. Seule Martine Aubry nuance son opposition en proposant la dépénalisation de la consommation. Pharmacies ou dépénalisation : foutage de gueule ou pataquès verbeux. La vente en pharmacie ? Va y avoir du monde dans les officines. Du festif et convivial. Et la Sécu, elle prend en charge ? Et ma mutuelle, elle me colle une surprime ? À la limite, dans les commissariats de police ça aurait été plus jouissif : « Wesh gros, fais péter un 25 de libanais, j’te paye demain, j’suis en chien en ce moment. » Quant à la dépénalisation, sache, Martine, que dans les faits et dans les quartiers, les bleus ne se risquent plus à serrer les mômes qui arborent leur cône comme le drapeau de la rébellion, étendard du mal-être et de la paupérisation, désocialisés de fait et de droit. Alors, on fait quoi ? On va aux fraises ?

Depuis un demi-siècle, ça tchatche haut et fort, et chaque proposition qui tend à faire avancer le schmilblick déclenche une volée de bois, vert comme un bon double zéro. Toujours le même couplet refrain : Daniel Johnston versus Michel Sardou. On sèche sur la corde à linge. Et les uns de mettre en exergue l’exemple batave et les autres de rappeler le risque de glisser vers des substances moins anodines. Avec, selon ­l’Observatoire des drogues (juge et partie, comme à la PJ), près de 4 millions de consommateurs en France (c’est plus que le nombre de votants au premier tour de la primaire), le sujet est pour le moins concernant, voire consternant dans le traitement qu’en font nos politiques. Même les policiers sont d’accord, hypocrisie et hystérie sont les deux mamelles nationales en la matière.
Voyez Neyret, en voilà un qui a tout compris. Avant-gardiste, visionnaire, humaniste, le cador de la PJ lyonnaise fait tomber les barrières avant de tomber lui-même et se retrouve en zonzon avec ses partenaires de deal, confrères ou mafieux (c’est selon). Dans la mouise, effondré en disgrâce.

En réalité, ce qui manque sur le sujet, c’est la volonté de se confronter aux bien-pensants, opposés par essence, par principe, par ignorance. Si, en 1981, Mitterrand et Badinter n’avaient pas pris le risque de déplaire et de choquer sur la peine de mort, de passer outre l’opinion publique, qu’en serait-il aujourd’hui avec Brice, Claude et Nicolas à la barre (du tribunal) ? Qu’est-ce qu’on risque à faire plutôt qu’à attendre ? Encore. Tenter un protocole plutôt que de passer à la colle. Éviter le phénomène de masse et la contamination aux populations les plus jeunes en prenant en charge le marché et la distribution. Et la nature même du produit pose aujourd’hui question. De la « com » dans la sémantique du milieu, autrement dit du commercial, de la médiocre qualité vendue uniquement pour faire du business, voilà ce qui circule dans les halls d’immeuble. Les dealeurs ont tout assimilé des pratiques capitalistes. Ils vendent du discount et se réservent les grands crus. Et les gosses de s’enquiller des pétards à la coupe douteuse, qualifiés parfois de Tchernobyl car tellement dénaturés. Shitoyens, shitoyennes, proposons à nos élites un grand référendum sur le sujet. Pas de fumée sans (Horte) feux. Il s’agit de débattre, échanger, être force de proposition, de consensualité. Et tout roulera.

À l’heure où DSK et Georges Tron prennent leur pied, violent les interdits de la chair, il ne faudrait pas se priver d’allumer le joint de la concorde et de l’intelligence sur le tabou du cannabis. Et puis, n’en déplaise à Arnaud, la mondialisation est passée, et les producteurs marocains, afghans, thaïs se régalent de nos indécisions et se gavent de nos narco-euros. Et si la légalisation nous permettait, via une TVA à débattre (5,5 ou 19,6 ?), de réduire le montant de la dette nationale, de briser le marché délictueux, de sauver des gamins en quête d’avenir et en peine de motivation, de décharger les policiers et les magistrats de besognes basses, d’établir des filières encadrées, rigoureuses sur la qualité des produits (estampillés «  bio » , dans le respect des producteurs locaux ?) et la typologie des acheteurs, on aurait quand même un peu avancé, non ?

Alors, merci à toi JMB et à tous ceux qui ont permis d’entrouvrir la porte du coffee-shop, refermée sitôt par les camarades primairistes arc-boutés sur le fil des sondages, obnubilés par le ressenti potentiel de l’opinion publique. À l’occasion, passez à la maison, j’vous ferai goûter un truc…

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