Autolib’, bon ou mauvais plan ?

La mairie de Paris lance son projet de voitures
électriques en libre-service avec le groupe Bolloré.
Pour Annick Lepetit, c’est un moyen propre de répondre aux besoins des Parisiens. Michel Riottot estime à l’inverse que ce pari électrique est perdu d’avance.

Politis  • 1 décembre 2011 abonné·es

Michel Riottot


Directeur de Liaison, revue
d’Île-de-France Environnement,
et président de cette même structure, qui regroupe 400 associations.

La voiture électrique Bluecar, produite par le groupe Bolloré, équipée de batteries lithium-métal polymère censées procurer 250 km d’autonomie en ville et rechargeable en moyenne en 4 heures, a été choisie par la ville de Paris, 25 communes des Hauts-de-Seine, 7 de Seine-Saint-Denis et 11 du Val-de-Marne pour leur service Autolib’. Il est prévu de déployer 2 000 véhicules dans un premier temps, et le nombre d’usagers pour rentabiliser le nouveau système doit atteindre 80 000 vers 2018.

D’un point de vue environ­nemental, on pourrait imaginer que le remplacement d’environ 22 000 voitures consommant des énergies fossiles génératrices de gaz à effet de serre et toxiques pour la population (voir les futures zones d’actions prioritaires pour l’air [Zapa]) est une idée ­lumineuse. Malheureusement, l’analyse critique du projet fait apparaître nombre d’épines dans ce bouquet enjôleur. A-t-on besoin, en agglomération parisienne dense, de se déplacer en véhicule personnel ? Boileau parlait déjà des « embarras de Paris » au XVIIe siècle. Autolib’ peut non seulement les renforcer, mais aussi détourner encore plus de Franciliens du covoiturage, de l’auto-partage et, surtout, des transports collectifs, pour lesquels la Région Île-de-France et l’État vont dépenser plus de 30 milliards d’euros d’ici à 2025. Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des usagers des transports, souhaite l’échec de ce projet pour cette raison.
Ensuite, la consommation énergétique de la Bluecar est mal évaluée. Elle consomme 0,2 kwh/km soit 0,6 kwh d’énergie primaire. Cette énergie serait achetée par la société Bolloré à la compagnie allemande Eon, dont plus de 80 % de l’électricité est produite dans des ­centrales à charbon. Ainsi, la Bluecar émettra indirectement plus de CO2 par km qu’une voiture de moyenne cylindrée. Au minimum, un changement de contrat d’approvisionnement s’impose.

En outre, ce véhicule équipé de batteries sèches, théoriquement non explosives, n’a pas subi les ­multiples tests auxquels sont soumis les véhicules thermiques. Sa fiabilité sur le long terme n’est pas connue. L’enjeu véritable du groupe Bolloré n’est-il pas simplement de tester la fiabilité en usage de ce type de batterie appelée à équiper les véhicules de Renault, Peugeot et autres par la suite ?

La voiture électrique, panacée pour diminuer l’impact climatique des moteurs thermiques ? Seulement si l’approvisionnement électrique est d’origine renouvelable : hydraulique, géothermique, éolien, solaire…, ce qui n’est pas le cas. Des esprits chagrins, pour sûr verts, ont calculé qu’il faudra une centrale nucléaire par million de véhicules électriques. En ­multipliant par le nombre de voitures dans le monde, on comprend que le pari électrique est perdu d’avance.

Enfin, ces voitures en accès libre ne constituent pas un avantage économique pour un Francilien parcourant 30 km/j par semaine ouvrée en 4 CV basique, soit 2 heures dans la circulation dense. Le système coûte 12 euros/mois pour un abonnement annuel, plus un coût variable par demi-heure d’utilisation de 5 à 7 euros. En Bluecar, le coût est ainsi de 143 euros la semaine contre 75 euros en 4 CV et, surtout, 24,50 euros avec un Pass navigo 3 zones, offrant bien d’autres avantages pour les courses de la mi-journée ou du soir.

Annick Lepetit

Maire adjointe de Paris chargée
des transports, des déplacements
et de l’espace public, et présidente
du syndicat mixte Autolib’.

En 2008, Bertrand Delanoë lançait, dans le cadre de la campagne des municipales, le projet Autolib’. Il s’agissait de proposer aux Parisiens une alternative écologique et économique à la possession d’une voiture particulière. Nous avons élargi le périmètre en 2009 et proposé aux 80 maires du cœur de la métropole ce projet ambitieux et innovant dont l’objectif est d’avoir, d’ici au mois de mai prochain, 3 000 véhicules électriques en libre-service.

Peu nombreux étaient alors les commentateurs qui prédisaient un aboutissement du projet dans la mandature. Certains avaient de sérieux doutes sur l’autonomie des véhicules électriques, qu’ils estimaient à une cinquantaine de kilomètres à peine. Nous avons tout de même décidé de lancer un appel d’offres avec une voiture tout-électrique. La Bluecar de Bolloré, le candidat retenu pour mettre en œuvre Autolib’, offre une autonomie de 250 kilomètres.

Au début de notre projet, une quinzaine de communes à peine ont adhéré au syndicat Autolib’. Aujourd’hui, nous sommes 46 villes adhérentes ainsi que la Région Île-de-France. Je suis sûre que d’autres élus viendront bientôt nous rejoindre pour compléter le service et favoriser leurs administrés. Et, déjà, des maires de grandes villes européennes et internationales s’intéressent aux débuts d’Autolib’.

Ce projet accessible aux familles comme aux jeunes conducteurs, aux entreprises comme aux particuliers, modifiera la métropole parisienne. Il concernera toutes les catégories d’usagers, qui pourront bénéficier d’une alternative à la possession d’un véhicule particulier et ainsi alléger leur budget. La presse spécialisée estime le coût d’une voiture à 5 000 euros par an en moyenne. Pour un abonnement de 144 euros par an et la première demi-heure d’utilisation à 5 euros, les Franciliens auront accès à des voitures électriques en libre-service et en trace directe.

Autolib’ répondra aux besoins des Parisiens, dont déjà moins d’un ménage sur deux possède une voiture. Nous souhaitons les amener à constater que l’essentiel n’est pas la possession mais bien l’usage d’une voiture.
Nous voulons proposer un service pratique, avec des véhicules de quatre places et un dispositif de location rapide. Nous l’avons souhaité propre et silencieux afin qu’il s’insère dans la ville sans ajouter aux nuisances urbaines, notamment la pollution et le bruit. C’est d’ailleurs l’absence de ce dernier qui a conquis les premiers utilisateurs lors des tests commencés début octobre. Il n’est pas interdit de rêver à une capitale et à des villes limitrophes dans lesquelles ne circuleraient que des voitures silencieuses. Cela soulagerait des centaines de milliers de riverains, de piétons et de cyclistes.

Autolib’, c’est la liberté de se déplacer, mais c’est aussi le partage avec d’autres utilisateurs. Liberté et partage, des valeurs auxquelles je suis particulièrement attachée. Enfin, si Autolib’ contribue à améliorer la mobilité des Franciliens et à diminuer la pollution de l’air dans nos villes, alors nous aurons gagné notre pari.

Clivages
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