Xavier, arrive ici… Il faut que je te parle deux minutes

En 2004, tu as été nommé au gouvernement. Pour nous, c’était une catastrophe locale ; pour toi, une opportunité nationale.

Joseph Beauregard  • 15 décembre 2011 abonné·es

Xavier, arrive ici, il faut que je te parle deux minutes. Sache mon cher Xavier que j’étais subjugué jusqu’au vertige quand tu as adhéré à l’âge de 16 ans au RPR. On était en 1981, nous étions jeunes et cons, nous ne pensions qu’aux filles et tu as été le seul du lycée à lutter contre les chars soviétiques. Xavier, merci d’avoir été là. Après le lycée, tu as obtenu une maîtrise de droit public et un DESS d’administration locale. J’étais fasciné. Ça sent tout de suite la bonne humeur à toute vapeur. Je n’ai jamais osé te le dire mais, en 1989, j’ai envié ton entrée triomphale au conseil municipal de notre bonne ville de Saint-Quentin. Dès le lendemain, tu t’es acheté tous les disques de Dick Rivers, des santiags, un cuir noir, des Ray-Ban et une vieille R16 verte. De jalousie je crevais.

Très vite, tu as créé la plage de Saint-Quentin, un Woodstock local. Ça sentait l’herbe et le LSD jusqu’en Belgique, tu es devenu alors le ­sex-symbol du département. De mon côté, j’ai compris que nous avions beau être nés le même mois de la même année, il y avait beau n’avoir que 7 misérables jours, 20 kilos et 20 centimètres de différence entre nous deux, toujours est-il que les fées avaient jeté leur dévolu sur ton berceau. Et moi, zéro. Sache aussi qu’à partir de 1992 je me suis mis à fantasmer comme un dingue sur ta vie d’agent d’assurances. Je t’imaginais traîner dans les bistrots, les fermes, les charcuteries, les quincailleries, te faire des copains à la vitesse de la lumière, rouler à toute berzingue sur les routes départementales en écoutant Dick, et, quand tu prenais les virages les yeux fermés, tu hurlais : « Rien à foutre de rien. » Je voyais ta vie comme celle de Jimi Hendrix ou de Jim Morrison mais en mieux. Il y a des jours où je me sentais tellement ringard que j’avais envie de m’acheter tous les disques de Frédéric François.

En juin 2002, tu as été élu député. Nous étions tous en transe et à moitié nus au PMU du marché. On a hurlé ton nom jusqu’au bout de la nuit et on a fini au petit matin dans la cave du RPR pour se droguer tranquillement. Sache aussi qu’on a tous pris un sacré coup sur la tête quand tu as été obligé de démissionner en avril 2004 pour entrer au gouvernement. Pour nous, c’était une catastrophe locale ; pour toi, une opportunité nationale. Avant de partir pour la capitale, tu as organisé une petite fête pour nous donner du courage, et on a vu débarquer en ville tous les sosies de tes chanteurs préférés – Richard Antony, Johnny, Eddy, etc. On n’avait pas vu pareille hystérie depuis le concert des Rolling Stones à l’Olympia en 1965. Cette nuit-là, j’ai écouté tes promesses, tes serments ; j’ai failli craquer de chagrin. Je me sentais seul comme un étranger en ville, j’étais en dernière position d’une course de fond et j’ai su que pour moi tout était foutu. Désolé pour les larmes.

Une fois secrétaire d’État à l’Assurance-Maladie du gouvernement de Monseigneur du Futuroscope, tu es entré dans ta période « fini de rigoler. » C’est à cette époque que j’ai fait une dépression. J’ai commencé à me défoncer aux médicaments. 1 050 euros par mois. Sans doute était-ce l’unique moyen que j’avais trouvé pour me rapprocher un peu de toi… J’ai aussi très vite perçu – j’avais encore quelques instants de lucidité – que tu n’étais pas là pour faire carrière. Tu as donc été nommé ministre de la Grippe aviaire du gouvernement de Dominique de Clearstream.

Quand tu as été nommé porte-parole de Scarface pour sa ­campagne, j’ai commencé à placarder dans mon studio des centaines de photos de toi. La nuit, je les contemplais. J’ai fini à Sainte-Anne. En mai 2007, Scarface t’a nommé Matador dans le gouvernement de François Premier, et les Français ont vu ce qu’il fallait voir. C’était un gouvernement qui avait fière allure. On n’avait jamais vu ça : des play-boys avec des QI à un chiffre qui savaient à peine lire, écrire et compter.

En 2009, après avoir remis de l’ordre à Pôle emploi, à la Sécu et dans les caisses de retraite, tu as été nommé gérant de l’UMP. Ce jour-là, j’ai fini par accepter que jamais tu ne m’emmènerais avec toi sur la tombe de Fernandel. C’était dur. Très dur. Je me suis consolé en regardant un très joli reportage que t’a immédiatement consacré « Envoyé spécial ». Quand je t’ai revu en short avec ton maillot trop grand en train de jouer au foot avec les copains, c’était poignant. Pareil quand les journalistes t’ont fait poser devant notre lycée. « Il y a un domaine où je n’étais pas bon élève, c’était en sport. » C’est rien de le dire. Ensuite, tu as lu le journal en buvant ton petit café et tu as fait cet aveu déchirant : « À la fin du Parisien, je vais regarder mon horoscope tous les matins. » J’en avais les larmes aux yeux, toi aussi tu croyais dans l’astrologie, nous n’étions donc pas si différents.

Il y a eu aussi ta visite en Chine, où tu as signé un mémorandum entre l’UMP et le Parti communiste chinois. Avec les copains, on a trouvé ça super fort parce que même le Parti communiste marxiste-léniniste de France n’avait pas osé le faire en 1967 ! À part ça, vous formiez un sacré duo avec Frédéric Lefebvre, un peu comme Jean Roucas et Stéphane Collaro au temps du « Bébête Show ».

Mais voilà, c’était trop beau pour que ça dure, alors ça n’a pas duré. Et ce qui devait arriver arriva : en novembre 2010, tu es redevenu le Matador du chômage et du Mediator, et j’ai senti comme une légère éclaircie en moi. Xavier, il y a une question qui me hante même dans mes pires moments d’insouciance : est-ce que tu sais où vont les mecs dans ton genre une fois qu’ils sont morts ?

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