Le candidat du moins-disant

François Hollande n’a toujours pas dévoilé sa plate-forme présidentielle, vraisemblablement très éloignée du projet du PS adopté cet été, et se montre insaisissable.

Michel Soudais  • 5 janvier 2012 abonné·es

Quand donc François Hollande dévoilera-t-il enfin son programme ? Depuis que les socialistes l’ont choisi pour être leur porte-drapeau, le député de Corrèze, peu disert sur ses projets lors de la primaire, n’est guère sorti des généralités, sinon des banalités. Sa « Lettre aux Français » (publiée dans Libération du 3 janvier) le confirme. Silencieux sur la crise grecque et le référendum volé au peuple début novembre, indifférent à l’offre de débat du Front de gauche, muet en décembre face aux preuves accablantes de fraude lors des législatives russes, le candidat du PS semble surtout préoccupé d’éviter les écueils. Trop rusé pour être honnête, se méfient déjà des électeurs.

Hollande multiplie les « visites de terrain », mais ces déplacements ne donnent lieu à aucune annonce tangible. On le voit à la télé sans bien comprendre ce qu’il vient y dire. Le 13  décembre, sur France 2, face à l’acteur Vincent Lindon, qui, provocateur, rêve d’un patron qui abuserait « de son pouvoir pour faire du bien » et déciderait d’une répartition des richesses plus équitables, François Hollande paraît décontenancé. « La réalité est plus compliquée que cela , commence-t-il. L’idéal est celui-là. Mais l’idéal, c’est d’abord de faire réussir son pays, et de donner une fierté, une considération, un respect. C’est ce qui manque le plus aujourd’hui. » Même en VO, le parler Hollande nécessiterait souvent un sous-titrage. Du coup, ses militants s’impatientent. Les propos de socialistes franciliens rapportés par le Monde (17 décembre) vont tous dans le même sens : « On attend qu’il montre les crocs. » « On a envie de lui dire : “Vas-y, pépère !” » « Faut y aller vraiment ! Droit devant ! »

Ses communicants assurent, eux, que leur candidat prend de la hauteur. Il n’a pas assisté à la convention d’investiture des ­candidats du PS aux législatives de juin 2012 ? « Il s’est volontairement tenu à l’écart, il n’a pas à s’occuper de ça, il est au-dessus » , explique Manuel Valls, son responsable de la communication. François Hollande l’a confié lui-même à Libération (7 novembre) : il n’est « pas un contre-président » mais « le prochain » . Officiellement, donc, il prépare son entrée dans « la vraie campagne » , travaille ses propositions, les peaufine autant sur le fond que sur la forme. Pour une présentation de sa plate-forme présidentielle fin janvier ou début février. De préférence quand Nicolas Sarkozy aura déclaré sa candidature.

Dans cette attente, par petites touches, François Hollande prend ses distances avec l’accord signé entre le PS et Europe Écologie-Les Verts, comme avec le projet du PS. Sur TF1, le 16 novembre, il s’était appliqué à montrer qu’il n’avait pas cédé aux demandes de ses partenaires sur la sortie du nucléaire et l’arrêt de la construction du réacteur de 3e génération à Flamanville.

Le 28, sur BFM-TV, il était plus direct. « Non », il n’appliquera pas toutes les mesures contenues dans cet accord – notamment la remise en cause du droit de veto de la France à l’ONU –, mais seulement celles qui lui « paraissent les plus essentielles », sans les préciser. Il ajoutait toutefois : « J’ai aussi, par rapport au projet socialiste, le même respect, c’est-à-dire qu’il y a des ­propositions, et puis ce que je dois présenter aux Français dans ma candidature présidentielle. »

C’est sur le retour à la retraite à 60 ans que le député de Corrèze a le plus spectaculairement pris ses distances avec ce que beaucoup de socialistes pensaient encore être la position de leur parti. Le retour à cet âge légal ne s’appliquera qu’aux personnes ayant commencé à travailler à 18 ans et disposant déjà de « tous leurs trimestres » pour une retraite à taux plein. « Ceux qui n’ont pas leur durée de cotisation ne le pourront pas » , a-t-il déclaré sur RTL, le 12 décembre, entérinant en creux le recul de l’âge légal à 62 ans.

Sur d’autres mesures emblématiques du projet du PS (les 300 000 emplois d’avenir, auxquels il préfère son « contrat de génération » , les 10 000 recrutements dans la police…), François Hollande a longtemps laissé ses proches dévoiler ses intentions (voir ci-contre). Avant de confirmer leurs dires dans un entretien au Point (22 décembre) : « Compte tenu des contraintes budgétaires […], je proposerai de stabiliser globalement les effectifs de la Fonction publique. Les postes créés seront forcément compensés ailleurs. »

Dans cette reculade organisée, l’engagement de réduire à néant le déficit public annuel de la France apparaît comme le seul objectif prioritaire du candidat socialiste. Le seul en tout cas qui recueille de sa part une approbation claire et nette. Pour lequel il annonce qu’il faudra reconsidérer toutes les promesses de son parti. Et à l’aune duquel il critique Nicolas Sarkozy. Si le chef de l’État n’a pas obtenu d’Angela Merkel que les eurobonds soient créés ou que le rôle de la BCE soit redéfini dans le futur traité européen, c’est à cause de « la faiblesse de sa politique, [des] déficits et [du] non-respect de ses engagements européens » , estimait-il récemment dans le Point. Après avoir annoncé dans Libération (7  novembre) que son ambition était de « donner du sens à la rigueur ».

En disputant à la droite UMP la manière de réduire les déficits, de conserver notre triple A ou de relancer la croissance, François Hollande admet implicitement partager avec elle ces objectifs. Ce dont ne font pas mystère ses conseillers, et notamment Michel Sapin, chargé de coordonner le projet du candidat. À les croire, ce dernier travaillerait à un plan de rigueur de plus grande ampleur que celui du gouvernement. À Berlin début décembre, au congrès du SPD, il a salué les « réformes importantes » initiées par Gerhard Schröder (baisse des indemnités de chômage et de la taxation des bénéfices des entreprises, recul de l’âge de la retraite et développement de la précarité au travail…), en déplorant qu’ « en France, elles [aient] trop tardé » . Vu la sanction électorale qui a suivi leur mise en œuvre outre-Rhin, il est peu probable que François Hollande les inscrive noir sur blanc dans son projet.