L’histoire rouge du XXe siècle

À la suite de l’ouverture des archives du PCF, un livre-objet rend compte de la richesse humaine du communisme en France.

Michel Soudais  • 5 janvier 2012 abonné·es

Ouvertes à la consultation depuis 1993, les archives du Parti communiste recèlent des milliers de comptes rendus de réunions, d’affiches et de tracts couvrant les XIXe et XXe siècles. C’est ce pan de notre patrimoine national que Bruno Fuligni nous fait découvrir dans un livre-objet, forme propice à exposer l’exceptionnelle variété de ce fond documentaire.

L’histoire de cette France rouge commence avec les témoignages de communards rassemblés par la fille de l’un d’entre eux, Zéphirin Camélinat, ouvrier monteur en bronze qui a connu l’exil avant d’être élu député de la Seine en 1885 (le temps d’un mandat) et qui sera, en 1924, le premier candidat du jeune Parti communiste à la présidence de la République. Ne sont pas oubliés les écrits de Louise Michel, l’une des figures de la révolution sociale dont le Parti communiste va revendiquer l’héritage. Ni évidemment ceux de Jean Jaurès, dont même le contrat de travail et le manuscrit du premier éditorial de l’Humanité (18 avril 1904) sont retranscrits, à côté d’un fac-similé, d’une taille impressionnante, du premier numéro de ce titre prestigieux.

L’histoire se poursuit avec le récit de la mutinerie d’Arcis-le-Ponsart, dans la Marne, en 1917, consigné dans un cahier d’écolier par un de ses acteurs, Marcel Branchereau, charpentier en fer. Ou l’épopée d’André Marty, célèbre mutin de la mer Noire, dont un procès-verbal d’interrogatoire se lit comme une scène de théâtre. Page suivante, le lecteur découvre le manifeste que Boris Souvarine, secrétaire du Comité pour la IIIe Internationale, et l’instituteur Fernand Loriot adressent au congrès de Tours, depuis leur prison, pour y saluer « l’élan révolutionnaire » d’où va naître la SFIC, Section française de l’Internationale communiste.

La radicalité des positions du nouveau parti conduit souvent ses membres en prison. Ce qui leur vaut les félicitations et les encouragements des dirigeants de l’Internationale : « Ainsi donc, vous êtes au repos à la Santé beaucoup plus tôt qu’on ne pouvait s’y attendre » , écrit Gregori Zinoviev le 11 février 1923 dans une lettre à Marcel Cachin, inculpé avec sept autres camarades, dont un député allemand, « d’attentat contre la sûreté extérieure et intérieure de l’État » . Avant de demander au dirigeant français de profiter de la « liberté relative » dont il « jouit encore » pour réaliser une photo de groupe des détenus qui servira à la propagande de l’Internationale.

Outre ces pièces d’archives touchant des personnages historiques (on découvrira avec intérêt les copies des fiches biographiques de Georges Marchais et d’Henri Krasucki, ou des messages de dirigeants des « partis frères »), le principal mérite de l’ouvrage est de donner à voir des tranches de vie de militants anonymes. Comme celle de François Vittori, commissaire politique dans les Brigades internationales, chef des FTP de Corse, sénateur de 1946 à 1948, puis portier au siège du PCF : dans les années 1920, employé des PTT relégué à Madagascar, il créa de toutes pièces un parti communiste avec le technicien radio Édouard Planque, ronéotant les premières cartes et les tracts écrits à la main. Ou celle de Marie Lefèvre, infirmière syndiquée, élue sur une liste municipale « classe contre classe » à Ivry en 1929, quand les femmes n’avaient même pas le droit de vote…

Les archives ainsi exhumées rappellent, par-delà les thèses et les interprétations qui en ont été faites, la dimension humaine de l’histoire du communisme français. La joie et la dignité des ouvriers durant l’été 1936, sensible dans l’album reconstitué des photos de vacances à Plouganou d’une ouvrière affiliée à la CGT. L’espoir et le sacrifice des volontaires pour l’Espagne ou des FTP. La tragédie aussi, doublée parfois de trahison, comme celle que rapporte un codétenu de Manouchian. La fidélité à l’URSS (jusqu’à l’absurde) et le culte de la personnalité : pour son cinquantième anniversaire, Maurice Thorez reçoit mille cadeaux. Parmi eux, des dessins d’enfants et des messages envoyés par les groupes Vaillant d’une souriante naïveté.

Ce sentiment d’appartenance à une « famille » communiste éclate à la mort de Staline. Un portrait du défunt signé Picasso en une des Lettres françaises, journal dirigé par Aragon, fait scandale. Qu’ils soient ouvriers ou paysans, les militants protestent par lettres : « Rien dans ce portait ne met en valeur la bonté, l’intelligence, la fermeté du visage de notre cher et grand Staline » , tempête, « choquée », Janine Nicolas, militante du XIIIe arrondissement.
Riche en reproductions de documents inédits, l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité. Il n’en propose pas moins de redécouvrir une histoire plus nuancée que ne l’a prétendu l’historiographie dominante des trente dernières années.

Idées
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