Autisme : la psychanalyse en question

Faut-il remettre en cause les pratiques psychanalytiques pour les personnes autistes, au profit des méthodes éducatives et comportementales ? Bernard Golse se prononce pour une prise en charge multidimensionnelle. M’Hammed Sajidi est très critique vis-à-vis de la psychanalyse.

Bernard Golse  et  M’Hammed Sajidi  • 23 février 2012 abonné·es

Bernard Golse, Pédopsychiatre et psychanalyste.

L’hypothèse plausible de l’origine polyfactorielle des pathologies autistiques nous oblige à une prise en charge multidimensionnelle la plus précoce possible, afin de ne se priver d’aucune voie d’accès potentiellement efficace.

En France, à la suite des décrets pris par Madame le ministre Simone Veil en 1996, la décision a été prise de doter progressivement chaque région d’un « Centre ressources autisme » chargé de promouvoir l’information et la formation en matière de dépistage précoce, d’évaluation diagnostique, de prise en charge et de recherches, mais, sur le plan des soins, ces décrets insistaient à juste titre sur le nécessaire équilibre entre les options pédagogiques, éducatives, rééducatives et psychothérapeutiques, une fois le diagnostic posé dans les Centres d’évaluation et de diagnostic de l’autisme et des troubles envahissants du développement, selon les principes des recommandations de l’Anaes (1).

Qu’entend-on sous le terme de prise en charge multidimensionnelle ?
Le tout-psychanalytique a échoué, mais le tout-pédagogique, le tout-éducatif ou le tout-rééducatif échoueront de même, et toute technique qui prétendrait réclamer ou imposer le monopole de la prise en charge serait en fait hautement suspecte !

Il importe, bien entendu, de respecter au maximum les trajectoires des familles, tout en plaidant avec force pour le fait que, sur le fond d’une intégration scolaire digne de ce nom, une action puisse être menée conjointement sur les trois plans de l’éducatif, du rééducatif et du soin psychothérapeutique.

– Les enfants autistes doivent aller à l’école, et nous nous sentons entièrement solidaires des parents qui réclament que la loi de 2005 sur l’intégration scolaire des enfants handicapés et autistes puisse effectivement être mise en œuvre.

Malheureusement, nous sommes encore très loin du but, du fait d’une formation insuffisante des enseignants et des auxiliaires de vie scolaire !

– Une fois l’enfant autiste scolarisé, reste alors à lui proposer une prise en charge sous la forme d’un trépied fondamental : une aide éducative – et aucun psychanalyste raisonnable ne s’oppose plus aujourd’hui à ce type d’apports qui peuvent beaucoup aider l’enfant autiste à accroître ses habiletés sociales, pour peu que ces mesures d’aide ne deviennent pas envahissantes pour lui comme pour ses parents –, une aide rééducative toujours nécessaire à un moment ou à un autre (rééducation orthophonique et psychomotrice, en particulier), et une aide psychothérapique enfin.

En dépit de tout ce qu’on peut lire et entendre aujourd’hui, il nous semble que l’approche psychothérapique des enfants autistes demeure une nécessité absolue.

Quelle que soit la méthode employée, toute psychothérapie d’un enfant autiste vise à lui faire sentir qu’un autre existe et qui n’est pas menaçant…
Il n’y a pas que la cure psychanalytique qui puisse se donner cet objectif psychothérapeutique, et l’on citera, par exemple, les « Thérapies d’échange et de développement » développées en France par l’école de Tours, mais aussi la méthode « Floortime » très utilisée aux États-Unis et qui donne une place centrale au jeu et au partage émotionnel.

Compte tenu des polémiques actuelles, quelques mots nous semblent toutefois utiles à propos des psychothérapies psychanalytiques des enfants autistes, si décriées.

Être autiste donne lieu, à certains moments, à des souffrances affectives extrêmes, et sortir de l’autisme n’est pas simple non plus, car l’enfant autiste va alors découvrir le monde et les objets qui le composent (objets animés et objets inanimés), lesquels peuvent être ressentis par lui comme des objets terrifiants.

Dans ces conditions, que peut apporter la cure psychanalytique ?

Avec un enfant autiste, la question n’est pas tant de trouver et de désigner le coupable de ses difficultés (lequel n’existe d’ailleurs pas en tant que tel), mais de l’aider à être en lien vivant avec son monde interne, et de l’aider à lui donner forme et sens.

– Le psychanalyste, au sein d’un cadre rigoureux et stable, passera ainsi, par exemple, de longues périodes à mettre des mots sur les affects de l’enfant (verbalisation des affects).

– Il a aussi à « interpréter » ses angoisses archaïques, c’est-à-dire à proposer un sens aux figurations corporelles ou comportementales de l’enfant qui, aussi autiste soit-il, a une sorte d’intention inconsciente de communiquer à l’autre quelque chose de son vécu intime, de ses éprouvés et de ses ressentis affectifs.

La verbalisation des affects de l’enfant autiste et l’interprétation de ses angoisses archaïques offrent ainsi deux moyens importants de faire sentir à l’enfant qu’un autre existe et qui peut le comprendre, ce qui soutient l’enfant dans l’instauration de son intersubjectivité.

– Mais le psychanalyste peut aussi aider l’enfant à édifier ce que Geneviève Haag appelle son « Moi corporel », c’est-à-dire lui permettre de se vivre comme un tout unifié, différencié et progressivement plus sécure.
Tout cela n’est possible que grâce à la formation du psychanalyste en matière de transfert et de contre-transfert, formation qui lui permet de s’identifier profondément aux vécus corporels et affectifs de l’enfant autiste.

Au moment même où une vision plurifocale commence, enfin, à émerger quant aux causes de l’autisme, vision centrée, notamment, sur les troubles de la sensorialité des enfants autistes qui les empêcheraient d’accéder normalement à l’intersubjectivité, il serait dommage de continuer à fonctionner de manière clivée, à l’image des enfants autistes eux-mêmes, et à faire ainsi l’économie d’une articulation raisonnée de nos différentes approches.

M’Hammed Sajidi, président de l’association « Vaincre l’autisme ».

Nous sommes une association de familles d’enfants autistes et sommes victimes du traitement ­psychanalytique. Celui-ci s’est toujours montré nocif pour les enfants et leurs familles. Nous ne sommes pas contre la psychanalyse en tant que telle, mais notre problème est le traitement de ­l’autisme en France par la seule pédo­psychiatrie psychanalytique ou presque.

Aujourd’hui, l’autisme est reconnu en France et à l’étranger comme un trouble neurodéveloppemental, et l’on sait que cette maladie est à la fois prénatale et postnatale. Il ne s’agit donc pas d’un problème uniquement psychique ou psycho­logique. Mais la particularité du traitement de l’autisme en France est la mainmise de la pédopsychiatrie psychanalytique, et le refus de toutes les données et avancées scientifiques et médicales, notamment en matière de prise en charge.

On voit aujourd’hui une stratégie de lobby puissant de la part de personnalités de la pédopsychiatrie psychanalytique, qui nous considèrent comme les grands méchants loups prêts à les persécuter et qui, surtout, cherchent à empêcher toute autre forme de traitement de l’autisme en France.

Nous représentons plus de 3 000 familles qui, toutes, ont été prises en charge au départ par la pédopsychiatrie psychanalytique. Ce que nous reprochons à celle-ci est l’absence de véritable diagnostic pour les enfants autistes, la culpabilisation des mères, et l’absence de toute prise en charge sur le plan éducatif. Pendant des années, dans les hôpitaux psychiatriques de jour, nos enfants n’ont bénéficié d’aucune évolution favorable de leur état de santé, qui s’est même dégradé dans la plupart des cas, sans parler des ravages au sein des familles.

Nous avons donc sorti nos enfants de ces structures et avons mis en place des prises en charge dans le milieu ordinaire avec des scolarisations : nous avons alors constaté que nos enfants ont atteint une vraie autonomie, et leur état de santé s’est grandement amélioré, ce qui est prouvé et reconnu par les pouvoirs publics.

La psychanalyse n’a, elle, aucune donnée fiable sur la prise en charge de l’autisme. Il n’y a aucune raison que les droits des usagers de la santé publique soient bafoués au prétexte qu’un lobby a des intérêts financiers importants à « traiter » nos enfants, puisque la Sécurité sociale paye ses services.

Quand l’État impose la scolarisation des enfants autistes, il n’accorde aucun budget pour celle-ci, alors qu’un accompagnement spécialisé avec des auxiliaires de vie et des personnels de l’Éducation nationale formés est nécessaire. La mobilisation actuelle de ce lobby montre bien la réalité de la situation en France. Ces pédopsychiatres mettent les enfants dans des hôpitaux psychiatriques sans aucune évaluation, aucun suivi ni aucun résultat concret, pour un coût qui va de 600 à 1 300 euros par jour, financé par la Sécurité sociale.

Aujourd’hui, nous avons les capacités, les compétences et les outils pour diagnostiquer l’autisme des enfants avant l’âge de 2 ans et au plus tard avant 3 ans. Il faut alors mettre en place des prises en charge éducatives et psycho-éducatives qui donnent de véritables résultats et empêchent le développement de la maladie. On fait en outre partout dans le monde ce que l’on appelle des diagnostics différentiels, pour prendre en charge les troubles, voire les maladies associées dans certains cas à l’autisme. En France, ces maladies ou troubles ne sont généralement pas traités car les pédopsychiatres psychanalystes refusent des outils pourtant utilisés ailleurs. Je veux parler de problèmes somatiques qui, ici, ne sont pas soignés car nos enfants sont traités uniquement comme des malades mentaux. Qu’ils aient des maux de ventre, de dents ou de tête, ils ne peuvent pas les exprimer et ne sont donc pas soignés.

Il existe aujourd’hui des thérapies médicamenteuses qui permettent de bien soigner certains problèmes. C’est le cas notamment pour les troubles du sommeil, dont souffrent la majorité des enfants autistes et qui génèrent de grandes fatigues pour eux et tout l’environnement. Or, ces médicaments ne sont toujours pas délivrés en France, alors qu’ils le sont chez la plupart de nos voisins !

Tous ces outils ont fait leurs preuves à l’étranger depuis plusieurs décennies ; seule la France continue, pour une grande part, de les ignorer. À cause de ce lobby psycha­nalytique. Qu’attendent donc les ­pouvoirs publics pour donner de telles directives dans la prise en charge de nos enfants ? Cela, alors que nous sommes aujourd’hui à un point qui correspond au début de la découverte de causalités multi­factorielles de l’autisme, dont 10 % au moins seraient génétiques.

Alors que nous avons en France une recherche de haut niveau, nous avons une carence importante de compétences médicales qui puissent mettre en œuvre les réponses thérapeutiques enfin diversifiées que nous attendons depuis si longtemps.

Dans ce pays, la médecine ne suit pas parce que l’on a cloisonné, enfermé même, l’autisme sous l’emprise de la psychiatrie psychanalytique. Il faut aujourd’hui que des médecins, praticiens hospitaliers, compétents en neurologie, en génétique, en pédopsychiatrie, en neuropédiatrie, s’expriment enfin. Or, ils ne s’expriment toujours pas en France. Leur silence est extrêmement grave aujourd’hui.

Clivages
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