Une campagne pour réveiller

En campagne pour 2012, Jean-Luc Mélenchon, avec un charisme indéniable, s’adresse à la conscience de classe des électeurs.

Pauline Graulle  • 2 février 2012 abonné·es

Illustration - Une campagne pour réveiller

Debout, les deux poings levés, le regard tourné vers une foule compacte et silencieuse : « Regardez comme vous êtes nombreux, forts, ne baissez plus jamais les yeux, ne vous laissez plus intimider ! » Jean-Luc Mélenchon harangue les 4 500 spectateurs qui se sont retrouvés, le mardi 24 janvier au soir, au palais des Sports de Besançon (Doubs). L’assemblée paraît comme ragaillardie. De loin, ça ressemblerait presque une séance de coaching. Ou plutôt à un prêche… républicain.

Car le candidat du Front de gauche a choisi d’engager bien davantage qu’une bataille pour la présidentielle. Ce qui le fait courir, avec la même fougue, de grands meetings en rencontres informelles dans des petites salles des fêtes, de Metz à Perpignan, de plateaux de télé en conférences de presse ? Certes, le désir de « vendre » le programme du Front de gauche – un petit livre rouge, l’Humain d’abord, qu’il n’oublie jamais d’inviter à lire et « à se faire expliquer » . Mais, plus encore, celui de livrer un combat pour réveiller les consciences citoyennes.

Alors, dans ses habits de « franchouillard-colérique-électron-libre » – qui se dit pourtant « très méthodique »  –, « Méluche » ne tourne jamais le dos à un porte-voix. Il s’insurge, explique, ressasse… Et jamais ne se lasse. « Pour qu’un de nos mots soit repris dans le débat public, il faut qu’il le répète des centaines de fois » , note Alban Fischer, l’un des architectes de la campagne web du Front de gauche, qui fait partie de la petite équipe de proches du candidat.

Au fond, pour Mélenchon, il s’agit ni plus ni moins de se préparer à une « révolution » . Il la sent poindre à l’horizon, confie celui qui se réfère davantage à 1789 qu’à Mai 68. Même s’il ne sait ni quand cela arrivera ni ce qui adviendra : « La révolution, ce ne sera pas forcément Robespierre… Et puis regardez dans les pays arabes, on ne pouvait pas savoir que cela finirait avec les islamistes. » Une intime conviction qu’il partage avec son acolyte Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste : « On sent une dynamique populaire d’investissement du champ politique qui déborde le parti… C’est un processus qui est en cours. »

En attendant, et parce qu’il « n’y a de gauche que dans une rupture avec le système » , comme le martelait Mélenchon à « l’Usine » , son siège de campagne installé aux Lilas (93), à l’occasion de ses vœux à la presse, il faut d’abord piquer les esprits au vif. « Nous ne ­faisons pas des meetings pour éblouir […] m ais pour instruire et élever le niveau de conscience politique de chacun d’entre vous. Pour qu’à votre tour, vous soyez les instituteurs du peuple » , résumait-il à Besançon.

Mélenchon se fait donc pédagogue. Pas une prise de parole publique sans citer Victor Hugo et son réjouissant « qui vote règne ! » . Quand il expose le b.a.-ba de la crise financière ou raconte comment le capitalisme a organisé la rareté du logement, les formules servent autant à galvaniser les troupes que d’arguments tout prêts à mettre « dans votre musette pour expliquer aux autres » , rappelle l’ancien prof de lycée technique à l’adresse de son public.

Un bon mot, une image parlante, un trait d’humour… Les agences de notation : des « vampires » qui « pompent du sang » . L’immigration vue du FN : « Le problème, c’est le banquier, pas l’immigré. » Le capitalisme : « Le poisson, ça pourrit par la tête… Vous voyez où il faut couper ? » Devant les syndicalistes de la moribonde usine Peugeot Scooters de Mandeure, il jubile à brosser le portrait du « fils Peugeot » , sorte de Picsou « qui a des lingots d’or dans sa salle de bains » . Devant un collectif de chômeurs de Metz, il n’hésite pas à affirmer qu’il existe « une baguette magique : ça s’appelle le partage » .

On lui reproche d’user de raccourcis ; Mélenchon répond qu’il faut faire simple pour être entendu… Quitte à se voir taxé de populisme. « J’en ai marre du politiquement correct, s’agace le candidat qui entend aider les ouvriers à « retrouver leur fierté » . Quand on parle au peuple, il faut utiliser son langage ! » Et ça marche. Il est un talent que, des commentateurs politiques des beaux quartiers aux prolos du Jura, personne ne lui conteste : le verbe. Mélenchon excelle dans l’art de décrire, dans de ­longues séquences cathartiques, les souffrances sociales infligées par la violence du capitalisme. Tandis que le « président des riches » réinvente la lutte des classes, lui ravive la conscience de classe.

De sa gouaille très « hussard noir » de la IIIe République, il remet au goût du jour des expressions qu’on croyait tombées aux oubliettes du libéralisme : « le grand capital » ou « la classe ouvrière » . Il interpelle ses supporters d’un familier « à ce soir, les gars ! » . Donne du « camarade » à ses spectateurs, du « ballot » à ses contempteurs.

Toujours il clive. Il y a « deux camps » , aime-t-il à rappeler. Il y a « eux » , les « parfumés » , les « têtes d’œufs » , les « belles personnes » , les « bonimenteurs » qui expliquent que le seul choix est celui de l’austérité. Et il y a « nous » , « la classe de l’intérêt général » . Ou plutôt « vous » quand, devant des centaines de mal-logés rassemblés au théâtre du Rond-Point le 9 janvier, Mélenchon s’excuserait presque d’être propriétaire de son appartement.

C’est que, mis à part quelques courtes et précoces incursions dans l’Éducation nationale et dans le monde de la presse, l’homme n’a pas souvent quitté le sérail de la politique. Étonnamment, personne ne lui en tient ­rigueur. Sans doute parce qu’il use avec habileté de pirouettes empathiques : « Les amis, je connais la vie comme vous » , lance-t-il à la petite centaine de travailleurs venus des usines environnantes pour le voir dans la modeste salle polyvalente de Mandeure.

Dans sa capacité à incarner le désespoir social à l’oeuvre en temps de crise, la campagne de Mélenchon affirme définitivement sa singularité.

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