Ventes d’armes : faut-il les interdire ?

Alors que l’Inde a choisi l’avion de combat Rafale de Dassault, se pose la question des industries d’armement. Pour Nicolas Vercken, il faut accroître le contrôle des États et la sévérité des critères d’autorisation. Jacques Fath estime pour sa part que, sans démilitarisation multilatérale, s’en prendre à cette industrie n’a aucun sens.

Politis.fr  • 16 février 2012 abonné·es

Nous ne pensons pas qu’il faille interdire les ventes d’armes, mais plutôt réguler leur commerce. Produire des armes, en acheter, les vendre peut être tout à fait légal, ou justifié, y compris au regard de la Charte des Nations unies. Nous-mêmes, à Oxfam, nous sommes parfois amenés à demander le déploiement d’opérations de maintien de la paix pour protéger les populations civiles, et l’on peut aussi concevoir qu’un État ait besoin d’équiper ses forces de sécurité et de police pour assurer son ordre intérieur.

Le problème est qu’aujourd’hui, dans la plupart des conflits, la grande majorité des victimes sont des populations civiles. Cela montre que les armes sont trop souvent mal utilisées. Il s’agit donc, pour nous, de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un commerce comme les autres et que les États ont une grande responsabilité en la matière.

Illustration - Ventes d’armes : faut-il les interdire ?

Concrètement, nous demandons que tout transfert d’armes, que ce soit une importation, un transit ou une exportation, se fasse ­obligatoirement sous le contrôle des institutions des États concernés. Même si ce n’est qu’un transit à travers un territoire entre deux entités non étatiques, c’est la responsabilité des États de surveiller ce commerce et de l’autoriser – ou non. Aussi, pour nous, les États doivent pouvoir interdire une transaction si elle présente un risque substantiel de graves violations des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou d’atteintes au développement.

On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un des domaines au cœur de la souveraineté et de la stratégie des États, et donc forcément frappé du sceau du secret et de l’opacité, et de facto de la corruption. Mais les choses ont évolué depuis une trentaine d’années dans de nombreux États, et surtout au niveau régional, avec l’adoption de textes par l’Union européenne, la Cedao en Afrique de l’Ouest, d’une convention en Amérique latine ou d’une autre en Afrique de l’Est. On a donc aujourd’hui des lois nationales et des instruments juridiques aux niveaux régionaux qui n’ont pas tous la même portée mais permettent globalement d’affirmer la responsabilité des États.

Pour la France, la loi interdit d’exporter des armes, sauf dérogations pour une société habilitée, qui doit à chaque contrat obtenir une autorisation explicite de l’État, en l’occurrence du Premier ministre, après l’examen préalable d’une commission interministérielle. Nous souhaitons que ce contrôle, assez performant d’un point de vue administratif, s’exerce sur la base de certains critères, que l’on trouve dans la position commune de l’Union européenne de 2008 sur le sujet, impulsée dès 1998 par la France et le Royaume-Uni, les deux principaux exportateurs d’armes en Europe. Il y a huit critères, relatifs à la protection des droits de l’homme, à la stabilité régionale ou au développement économique. C’est donc globalement un bon texte. Son seul défaut est qu’il est relativement peu contraignant dans le sens où… les États n’ont pas ­l’obligation de ­l’incorporer dans leur droit interne ! Il n’y a donc pas de recours juridique national possible. C’est pourquoi nous militons pour une transposition des huit critères dans le droit français.

L’autre question est la transparence. Certes, on revient là aussi de très loin, mais le ministère français de la Défense ne remet au Parlement que tous les ans – et avec beaucoup de retard – un rapport sur les ventes d’armes. Des pays comme la Hollande publient en ligne tous les trois mois des informations exhaustives ! Ce qui permet d’agir beaucoup plus vite. Surtout, il y a une vraie appropriation de ces questions par les parlementaires chez nos voisins – britanniques, espagnols, néerlandais… –, qui auditionnent systématiquement leurs ministres de la Défense et des Affaires étrangères sur ces questions d’exportations d’armes, formulent des recommandations, voire publient des contre-rapports ! La France a donc encore beaucoup à faire. 


Illustration - Ventes d’armes : faut-il les interdire ?

La réponse à cette question ne peut faire sens que dans un cadre politique. Pour les communistes, celui d’un processus de désarmement multilatéral dans l’esprit d’une démilitarisation progressive mais réelle des relations internationales.

Cette approche signifie en fait un changement complet de paradigme. La sécurité par la puissance et par la dissuasion n’a jamais fonctionné correctement. Dans le contexte de la guerre froide, la guerre nucléaire – possibilité qui confinait à l’impensable – a été évitée mais pas la multiplication des conflits, ni la prolifération du nucléaire et plus généralement des armes de destruction massive. Aujourd’hui, les échecs majeurs de Washington et de l’Otan en Irak et en Afghanistan, la confrontation sur le nucléaire iranien montrent, dans la complexité des enjeux et des contradictions, à quel point les politiques de puissance, dans leur visée et leur esprit néo-impériaux, conduisent à des impasses et à des situations de crise encore plus profondes. Ceux qui prétendent que la puissance, donc les armements et leurs industries, constitue le facteur essentiel de la sécurité sont devant leurs limites et leurs échecs.

Il faut refonder toute l’approche de la sécurité internationale et européenne pour répondre à la question : comment peut-on construire un monde de sécurité et de paix ? Le désarmement multilatéral et contrôlé (pour reprendre le texte du Traité de non-prolifération), la baisse des budgets militaires, l’interdiction du trafic et le contrôle international strict du commerce des armes, l’effort constant pour résoudre politiquement les conflits, la priorité à la réponse aux attentes sociales et au développement… Tout cela doit constituer le cœur d’une vision totalement reformulée des relations internationales et, en conséquence, d’une politique et d’un outil de défense adaptés à cette conception nouvelle.

C’est dans ce cadre qu’une France de gauche devrait situer sa nouvelle politique. Il n’est pas question de désarmer unilatéralement, ce qui n’aurait guère de sens dans le monde actuel et pourrait même se révéler dangereux. La responsabilité de la France, c’est d’être à l’initiative sur les plans international et européen pour contribuer dans la durée à une dynamique pour le désarmement. C’est aussi une responsabilité collective s’inscrivant dans l’esprit, les principes et les buts de la Charte des Nations unies.

Dans ce cadre, les industries d’armement doivent relever de la souveraineté nationale et du domaine public, par la nationalisation lorsque c’est nécessaire. Elles doivent produire ce qui est utile à une défense nationale qui s’inscrive dans la nouvelle politique. L’importance relative de ces industries doit diminuer au fur et à mesure des progrès du désarmement. L’emploi peut y être conservé et développé dans des processus de reconversion et dans une économie de croissance. Il faut ainsi intégrer l’avenir des industries d’armement dans une vision internationale nouvelle et dans le cadre d’une véritable alternative politique en France.

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