Une bonne chose, la loi LRU ?

La loi relative aux libertés et responsabilités des universités est souvent vantée comme une réussite du quinquennat. Jean-Pierre Finance estime qu’elle donne aux universités les moyens d’agir en fonction de leurs besoins. Pour Pascal Binczak, elle les fragilise et renforce les inégalités.

Ingrid Merckx  • 22 mars 2012 abonné·es

Depuis plus de cent ans, de plus en plus de pays investissent dans l’université. Le « modèle français », avec ses universités incomplètes, ses grandes écoles et ses organismes de recherche nationaux, est apparu peu attractif. Dès la fin des années 1990, la Conférence des présidents d’université (CPU) a réaffirmé l’urgence de réagir. Deux réformes devaient être entreprises :
– Réorganiser le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. La loi de 2006 sur la recherche apportait une réponse partielle au travers des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES).
– Rendre les universités autonomes. Ce qu’a institué la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités).

Quel sens donner à l’autonomie d’un établissement public financé à plus de 85 % par l’État, dont les personnels sont très majoritairement fonctionnaires et dont les filières de formation sont accréditées par le ministère de tutelle ? L’État est-il capable de gérer « en direct » des milliers de cursus de formation et de programmes de recherche, et de prendre en compte les différentes spécificités de chaque université ? Le statut de fonctionnaire et la prégnance du système disciplinaire rendent-ils l’universitaire indépendant de l’établissement qui l’a recruté ?

Illustration - Une bonne chose, la loi LRU ?

La réponse à ces questions est non. Le renforcement de l’autonomie de chaque université a pour objectif de sortir d’un « micro­management » central en transférant à l’établissement la capacité d’élaborer une stratégie adaptée à son contexte, mais surtout en lui permettant de disposer des leviers pour la mettre en œuvre et ainsi répondre aux attentes de ses étudiants et personnels. La LRU est une loi de décentralisation, transférant au plus proche des besoins les mécanismes permettant d’agir. C’est particulièrement le cas pour le transfert de la masse salariale, qui donne à l’université la capacité de mieux adapter ses emplois à ses objectifs, mais aussi de développer une politique de « gestion des ­ressources humaines » moderne. La mise en œuvre d’une telle politique suppose une gouvernance adaptée. La LRU réduit ainsi fortement le nombre de membres du conseil d’administration et le dote de la plupart des pouvoirs.

Le renforcement de la gouvernance peut être discuté, et plusieurs améliorations doivent être apportées. La prime donnée au scrutin majoritaire, conduisant avec le jeu des deux collèges (maîtres de conférences et professeurs) à de nombreux cas de blocage, devrait être revue. La non-participation des personnalités extérieures à l’élection du président est inacceptable. Le risque de perte de « démocratie interne » est une préoccupation, et la CPU avait proposé en 2007 que soit créée une « assemblée ­académique » permettant aux principaux courants internes de s’exprimer. Surtout, il est clair qu’il ne peut y avoir de renforcement de l’autonomie sans soutien financier important et pérenne de l’État. L’engagement pris par le Premier ministre en novembre 2007 d’augmenter d’un milliard d’euros par an le budget des universités pendant cinq ans a trouvé ses limites dans la crise.

Une récente étude de l’Association des universités européennes (EUA) montre que l’autonomie des universités françaises reste bien faible dans le référentiel européen. Il est donc nécessaire de responsabiliser les universités dans la conduite de leur politique, mais aussi de redéfinir la place de l’État dans l’accompagnement de cette autonomie.


Illustration - Une bonne chose, la loi LRU ?

La loi LRU est venue répondre à une attente légitime du monde universitaire : avoir la pleine maîtrise de ses moyens. Et l’on peut s’accorder sur le bien-fondé du transfert aux universités de la maîtrise des emplois. Cependant, elle a touché à des équilibres, valeurs ou principes auxquels on peut être attaché. Et, contrairement à ses objectifs, elle fragilise les universités. Quand elle a été votée, on s’inquiétait déjà des moyens alloués aux futures universités autonomes. Quelques années plus tard, comme pour la décentralisation, le transfert de compétences n’a pas été compensé par un transfert de moyens suffisant. Les premières universités passées aux compétences élargies n’ont pas eu toujours le temps de faire concorder leur masse salariale avec leurs véritables besoins. En conséquence, des universités sont aujourd’hui en déficit sur deux années consécutives, ce qui a entraîné leur mise sous tutelle. Aujourd’hui, aucun établissement n’est prêt à affronter une diminution de la marge ou un dérapage de la masse salariale.

Plusieurs points restent préoccupants. La loi permet au président d’université de recruter par voie contractuelle des ­enseignants-chercheurs ou des personnels de catégorie A sans passer par le concours, et de moduler des rémunérations. Elle enfonce ainsi un coin dans le principe d’égalité de traitement des agents publics et dans le principe du concours comme mode d’accès à l’emploi public. Or, ce n’est pas avec des mesures ponctuelles, dérogeant aux principes de la Fonction publique, que peut être réglé le problème de la rémunération des universitaires.

Cette loi entraîne des inégalités de traitement entre usagers. Certaines universités sont mieux dotées pour dispenser des enseignements censés être de meilleure qualité. C’est le cas entre les universités franciliennes et les universités de province, les universités de sciences dures et les universités de sciences humaines et sociales. Avec le Grand Emprunt, les opérations Campus, les Investissements d’avenir, ces inégalités se sont aggravées.

La réforme de la gouvernance est le point le plus critiquable : la loi a renforcé les pouvoirs du président et du conseil d’administration tout en les rendant moins légitimes sur le plan démocratique. Jusqu’en 2007, le président était élu par une assemblée des trois conseils, pleinement représentative et garante du principe de collégialité. Aujourd’hui, le président n’est plus élu que par un seul conseil, le CA. Le pire est que, en application de la prime majoritaire, peut être élu président un candidat minoritaire chez les ­enseignants-chercheurs et rejeté, le cas échéant, par les personnels administratifs ou les étudiants.
Il faut revoir la gouvernance, restaurer la démocratie, renforcer la légitimité, être vigilant sur le fait que les principes fondateurs de la Fonction publique et du service public soient garantis. On touche là aux valeurs républicaines.

Il faut enfin se poser cette question : les richesses immatérielles peuvent-elles être comparées aux richesses matérielles ? Dans le domaine du savoir, est-ce qu’une mise en concurrence doit prévaloir sur les synergies et les collaborations ? On a souvent parlé de la « bataille mondiale de l’intelligence » : voilà une formule empruntée à l’idéologie libérale dont l’université doit être préservée. Ce qui fait la valeur et la force de l’université, c’est son universalisme et sa quête du bien commun, pour tous, au-delà de toutes frontières, qu’un enseignant-chercheur doit ignorer.

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