À contre-courant / Nouvelles du front yuan-dollar

Gérard Duménil  • 5 avril 2012 abonné·es

Dans le monde sauvagement ouvert au libre-échange de la mondialisation néolibérale, les économies du monde se sont trouvées placées dans une situation de concurrence directe. On en connaît la motivation : ouvrir le globe aux investissements des sociétés multinationales, pour le plus grand bénéfice de leurs propriétaires. On en connaît la conséquence, également intentionnelle : la pression exercée sur le pouvoir d’achat et la protection des salariés des pays du centre. Cette liberté du commerce international est cependant soumise au jeu des cours des changes des monnaies. Selon l’idéologie néolibérale, les « marchés » sont supposés régler au mieux tous les problèmes. Mais chacun sait qu’il n’en va pas ainsi.

Le gouvernement des États-Unis, confronté au déficit du commerce extérieur du pays, ne cesse de reprocher aux gouvernants chinois le taux de change du yuan, qui serait délibérément maintenu à un niveau peu élevé, favorable à l’économie chinoise. Ce procès, largement fondé, fait ressortir la capacité dont jouit ce pays de manipuler son taux de change. Cette situation est l’effet de la position ambiguë de la Chine dans le monde actuel, ayant fortement bénéficié de la mondialisation mais se tenant à l’écart de nombreux aspects du néolibéralisme. Parmi ces entorses aux règles néolibérales, on peut signaler : le contrôle du commerce extérieur et des mouvements internationaux de capitaux, le crédit encore fondamentalement assuré par un secteur public et des politiques industrielles fortes supportées par le contrôle étatique des secteurs clés.

Pourtant, une nouvelle situation semble désormais établie. Elle a deux aspects. En premier lieu, le yuan s’est revalorisé par rapport au dollar. Entre 2005 et début 2012, il a crû de plus de 30 %. Si l’on tient compte de la hausse plus rapide des prix en Chine, cette revalorisation est de 40 %. Le second facteur est la hausse rapide des salaires en Chine. En prix constants, les salaires augmentent au rythme étourdissant de 13 % par an (selon les données officielles pour les villes, et en faisant abstraction des inégalités). Entre 1997 et 2009, ces rythmes ont abouti à une multiplication par quatre des pouvoirs d’achat, qu’aurait favorisée le cours Hu-Wen (de Hu Jintao et Wen Jiabao, les deux hommes forts de la dernière décennie).

Pendant ce temps, la dynamique aux États-Unis et en Europe tend symétriquement à la compression des bas salaires, avec des succès impressionnants, notamment, dans certains États des États-Unis et en Allemagne (le rouleau compresseur est en marche en France).
Sachant que les coûts de production en Chine et d’importation des biens se trouvent augmentés des frais de transport, la convergence de ces coûts avec ceux enregistrés aux États-Unis s’opère rapidement. Une étude prétend que les coûts de production en Chine et aux États-Unis se rejoindront en 2015 (1). Une autre montre qu’en 2005, vu des États-Unis, le pays le moins cher pour produire à l’étranger était bien la Chine, mais qu’en 2010 le Mexique, le Vietnam, l’Inde et la Russie étaient devenus meilleur marché (2). Un nouveau monde se dessine.

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