Faut-il reconnaître le vote blanc ?

Pour Olivier Durand, le vote blanc, qui doit être comptabilisé, est la seule manière de dénoncer une élite incompétente. Selon Xavier Magnon, on ne peut attendre des partis politiques qu’ils légitiment un vote qui les remet en cause.

Politis.fr  • 5 avril 2012 abonné·es

La République française a une obligation : enregistrer tous les bulletins déposés dans les urnes des consultations électorales qu’elle organise. C’est parce que notre république est attachée à l’égalité en droit de chacun depuis 1789. Mais l’État français s’assoit sur ce noble principe depuis cent soixante-trois ans, prolongeant ainsi une décision du dictateur Louis Napoléon Bonaparte. Plus d’un siècle et demi d’injustice, c’est suffisamment long aux yeux du ministère de l’Intérieur pour devenir un acquis démocratique.
Ne nous laissons pas faire. Imposons que le dimanche électoral devienne ce qu’il aurait toujours dû être, le jour du citoyen, qui fait ce qu’il juge bon. Une sorte de carnaval où l’espace de quelques heures on renverse la hiérarchie. Cela signifierait-il qu’on laisserait le pouvoir à des incapables qui mettraient à bas ce qui aurait été construit tout au long du mandat ? Je demande à tout candidat qui considère que la masse des électeurs qui se déplacera en avril et en mai est un ramassis d’incompétents, après cent trente ans d’école républicaine, de se lever et de le dire tout haut. Qu’il ajoute – parce qu’il le pensera – que lui et ses acolytes appartiennent à une élite intellectuelle et que donc ils savent plus que nous ce qui est bien, et que sans eux nous ne serions rien.

Illustration - Faut-il reconnaître le vote blanc ?

Arrêtons de nous laisser mépriser ainsi. À chaque élection, nous votons « en conscience » pour un candidat ou « blanc », et c’est ce qui fait la vigueur de notre démocratie. Les partis politiques devraient être au service de nos choix alors que nous sommes enfermés dans leurs jeux de petites stratégies. Quelqu’un a-t-il dit qu’on ne sait pas ce que veut celui qui choisit un bulletin blanc ? Demandez à Michel Onfray si le vote blanc qu’il déposera le 22 avril ne sera pas motivé ! Et demandez à ceux qui choisissent un candidat au dernier moment, dans l’isoloir, quel est le sens de leur choix. Ne mettons pas un divan entre l’isoloir et l’urne pour sonder le subconscient de l’électeur, la qualité de son être ; cela nous rappellerait 1984. Prenons en compte tous les bulletins. Et vous verrez que le vote blanc ne prendra des proportions extraordinaires que si cela est nécessaire, parce que chacun de nous a sa petite part d’intelligence.

Depuis longtemps, les élections, devenues une simple distribution de pompons pour le profit des états-majors des formations politiques, laissent de plus en plus de gens à la maison. Il est acquis que chaque campagne électorale consiste à énoncer des promesses « qui n’engagent que ceux qui y croient ». Celui qui votera pour un candidat en fonction de ses promesses sera un benêt, et l’élection aura servi à le plumer. Les partis politiques nous demandent un chèque en blanc : votez pour nous et, quand nous serons au pouvoir, vous verrez bien ce que nous ferons parce que nous-mêmes ne le savons pas au moment où nous mendions votre suffrage. L’électeur, par son expérience, par son intelligence, arrivera peut-être à se faire une opinion favorable d’un candidat, et tant mieux pour lui si par la suite il ne se sent pas floué. Mais s’il juge que cette fois-ci c’en est trop, il vote blanc. Vote blanc contre chèque en blanc. En quoi le vote blanc met-il en danger la République tandis que les campagnes de plus en plus « gadgets », creuses, seraient acceptables ? Cela s’appellerait « deux poids, deux mesures » que cela ne m’étonnerait pas, la balance penchant une nouvelle fois du côté de la soi-disant élite.
Rien ne sert de combattre l’abstention en trichant grâce au vote obligatoire, il faut faire renaître la participation en donnant enfin à l’élection sa portée symbolique. 


Illustration - Faut-il reconnaître le vote blanc ?

La revendication visant à la prise en compte du vote blanc impose que celui-ci soit comptabilisé en tant que suffrage exprimé, au même titre que les voix portant sur un candidat ou sur une liste de candidats à une élection. Aujourd’hui, les votes blancs sont assimilés à des votes nuls et ne sont donc pas considérés comme des suffrages exprimés. Si les votes blancs deviennent des suffrages exprimés, il sera possible d’identifier de manière visible une catégorie d’électeurs ayant voté « blanc », au même titre que les électeurs qui ont donné leur voix aux candidats à l’élection. À côté du pourcentage de voix obtenues par chaque candidat à l’élection, apparaîtra un pourcentage de votes blancs. Ce dernier affectera directement le pourcentage obtenu par les différents candidats, toute voix comptabilisée au profit du vote blanc réduisant le pourcentage de voix obtenu par les candidats.

Le vote blanc est souvent présenté comme un vote de rejet de l’offre politique proposée dans le cadre d’une élection. Selon ses partisans, il serait donc important que l’on puisse identifier de manière visible ce rejet qui révèle une opinion tout à fait légitime, ce que personne en l’occurrence ne conteste, et surtout une opinion digne d’être entendue. Avec une telle réforme, les partis politiques existants seraient alors tenus de prendre en compte ce qui n’était qu’une « minorité » silencieuse, et de s’adapter pour intégrer leurs aspirations.

Cette justification soulève au moins deux questions. D’une part, la signification du vote blanc pour les électeurs n’est pas univoque. Soutenir que le vote blanc permettrait de mesurer le rejet de l’offre politique existante tend à écarter tout un ensemble d’autres motifs susceptibles de le motiver. Ces motifs sont variables. Sans être exhaustif, il peut s’agir d’une personne qui n’a pas d’opinion politique mais qui vote, d’une autre qui conteste non pas l’offre politique mais le mode de scrutin écartant potentiellement son candidat, d’une autre encore qui n’est pas en mesure, notamment lors des élections législatives, de voter pour le parti qu’elle soutient faute de candidat dans la circonscription où elle vote.
L’interprétation du sens du vote blanc est donc variable, ce qui tend à nuancer la légitimité naturelle que l’on peut avoir tendance à accorder à la prise en compte du vote blanc.

D’autre part, sous l’angle politique, le vote blanc apparaît, de manière plus ou moins justifiée, on vient de le voir, comme un vote de défiance vis-à-vis des partis institutionnels et représentés et, plus largement, du pouvoir en place dans l’État. Comptabiliser le vote blanc comme un suffrage exprimé conduirait ainsi à reconnaître comme légitime une opinion remettant en cause le système lui-même. Comment, dans ces conditions, demander au pouvoir politique en place de rendre visible l’expression d’une opinion visant à le remettre en cause ?

Ce n’est pas ici seulement le pouvoir en place qui est affecté, mais tous les partis politiques qui luttent pour le pouvoir, qui peuvent souffrir de ce vote potentiellement révolutionnaire. On peut donc comprendre qu’il existe une tendance lourde de la plupart des partis politiques en défaveur de la prise en compte du vote blanc dans les élections politiques. Ce vote concurrence directement celui en faveur de tous les partis ayant des candidats à des élections et tend à discréditer l’offre politique.

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