6 mai : peut-on refuser de choisir ?

Certains, comme Michel Onfray, ne veulent pas choisir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui sont à leurs yeux deux modalités d’un même libéralisme. En revanche, Pierre Zaoui considère que ne pas choisir revient à pratiquer la politique du pire.

Politis.fr  • 3 mai 2012 abonné·es

Voter blanc n’est pas s’abstenir, c’est dire son accord avec le jeu démocratique des élections (même si l’on sait que la politique ne s’y réduit pas tout entière…) et, dans ce cadre, faire savoir qu’on ne souhaite pas porter ses suffrages sur l’un des deux candidats présents au second tour. Le socialiste libertaire que je suis ne saurait voter pour un libéral sous prétexte qu’il faudrait choisir entre deux modalités du libéralisme, voire entre deux libéralismes semblables portés par deux personnalités différentes.

Illustration - 6 mai : peut-on refuser de choisir ?

Dans la configuration actuelle, et sur ce sujet de l’Europe libérale comme horizon indépassable de la politique nationale, Nicolas Sarkozy et François Hollande sont blanc bonnet et bonnet blanc : les deux hommes défendent depuis presque vingt ans les mêmes fondamentaux qui nous ont conduits là où nous sommes.

J’ai décidé de ne plus jamais voter pour un libéral qui fait de l’Europe le fin mot de la politique nationale. On le sait, ceux qui font les frais de l’Europe libérale bureaucratique célébrée par François Mitterrand et le Parti socialiste depuis trente ans sont les classes les plus modestes – qui, nous dit la sociologie politique, constituent le gros des troupes engagées derrière Marine Le Pen.
Pour autant, les opposants au libéralisme sont trop souvent des opposants aux libertés démocratiques. Pas plus que je ne souhaite porter mon suffrage sur un candidat libéral, je ne souhaite voter pour un antilibéral qui n’aimerait pas les libertés démocratiques fondamentales. Je tiens les gens qui citent Brasillach ou Robespierre, deux intellectuels liberticides, pour des personnes auxquelles je n’accorderai pas mon suffrage non plus.

Je ne soutiens pas ceux qui ont des indignations sélectives et qui, fort justement, critiquent les uns qui ne sont pas démocrates, mais pour en soutenir d’autres, leurs adversaires, qui ne sont pas plus démocrates ! Je ne souhaite pas choisir entre la politique coloniale israélienne et le terrorisme théocratique palestinien, je ne veux pas choisir entre l’impérialisme américain et la dictature cubaine, pas plus que jadis je n’aurais choisi entre l’Union soviétique de Staline et le Reich de Hitler : je prends le parti de la liberté libertaire et non de la liberté autoritaire… Je refuse l’enfermement dans une pensée binaire qui contraint au manichéisme et interdit donc de penser. S’il m’avait fallu en leur temps choisir entre Sartre et Aron, j’aurai choisi… Camus ! Ni la liberté sartrienne justifiant le goulag, ni la liberté aronienne ­justifiant Hiroshima, mais la liberté camusienne, la seule qui ne fasse pas fi des peuples dont Sartre et Aron finissent toujours par justifier qu’on les saigne un peu…

Voter blanc, c’est dire non au libéralisme, dire non aux antilibéraux qui n’aiment pas la liberté, et c’est dire oui au jeu électoral en sachant que la politique peut se faire autrement : je crois à l’anarcho-syndicalisme, aux formules proudhoniennes alternatives à l’économie libérale comme la mutualisation, la ­coopérative, l’autogestion. Rappelons-nous ces idées justes : « Il n’est pas de sauveurs suprêmes/ni Dieu, ni César, ni tribun » et puis ceci : « Notre ennemi c’est notre maître/voilà le mot d’ordre éternel ». Elles se trouvent aussi dans « ­l’Internationale »… 


Illustration - 6 mai : peut-on refuser de choisir ?

L’abstention et le vote blanc ne sont jamais des crimes, et sont même parfois de justes positions politiques, comme en Russie il y a peu ou, quoique dans une moindre mesure, lors du second tour de l’élection présidentielle française de 1969, qui vit s’opposer Georges Pompidou et Alain Poher, « blanc bonnet et bonnet blanc ». En revanche, pour ce second tour qui s’annonce, il faudra voter pour François Hollande. Pour au moins quatre raisons. Deux conjoncturelles, une structurelle et une entre les deux.

Premièrement, parce que Sarkozy. Jamais la droite française n’a été aussi infâme. Ce n’est même plus à prouver. Mais si on s’accorde tous sur ce constat, il est alors aberrant de prétendre que les socialistes mèneront la même politique. Ils sont indéniablement moins pires. Au moins en termes d’administration effective, sinon toujours dans les discours et les programmes – on pense tout particulièrement ici aux sans-papiers, mais aussi à la fiscalité, à l’école, aux aides sociales, aux soldats en Afghanistan… Car l’administration des choses, c’est peut-être le degré zéro de la politique, mais à hauteur d’hommes, des millions de vies en dépendent. Autrement dit, si l’adage qui veut qu’« entre deux maux il faille ­choisir le moindre » n’est pas toujours pertinent, il le devient quand l’un de ces deux maux s’appelle Nicolas Sarkozy et quand ses barons se nomment Nadine Morano, Brice Hortefeux, Éric Besson, Frédéric Lefebvre…

Deuxièmement, parce que Marine Le Pen. Par quelque bout qu’on les prenne, ses 6,5 millions de voix au premier tour et l’avenir inédit qu’ils lui dessinent constituent une nouvelle bombe politique dont on est loin d’avoir mesuré toutes les déflagrations. C’est pourquoi l’heure est davantage à la politique antifasciste et au « pas d’ennemi à gauche » républicain qu’à la politique « classe contre classe » ou à la politique du pire. Il s’agit de ne pas se tromper d’ennemi : la nouvelle droite néofasciste en gestation, et non pas de nouveaux « sociaux-traîtres » en puissance. En ce sens, donner aujourd’hui de l’eau au moulin tantôt poujadiste, tantôt révolutionnaire du « tous pourris, tous les mêmes » apparaît plus dangereux que jamais. D’autant que le premier tour a montré aussi que les forces progressistes de gauche n’étaient pas tout à fait mortes.

Troisième raison, plus structurelle : prendre acte de la désacralisation du vote dans nos pseudo-démocraties. L’essentiel de la vie démocratique ne se joue plus dans les partis, ni lors des élections. Le sens du vote a ainsi changé : il ne s’agit plus d’un acte de délégation ou de représentation, mais d’un simple geste, parmi d’autres et à la même hauteur, d’intervention politique. Le contraire d’un blanc-seing, d’une confiance ou même d’une espérance. À rebours, on devrait plutôt se demander quelle foi mettent encore dans les élections ceux qui refusent haut et fort de voter Hollande : ont-ils si peur de passer pour des socialistes face à leur conscience ? Quelle étrange peur alors, et quelle étrange conscience du vote.

Enfin, la quatrième raison est à la fois conjoncturelle et structurelle. Elle tient à la personne de François Hollande. Depuis la primaire socialiste, on ne cesse de moquer son manque de charisme, d’envergure, de brillant, d’ambition, de projet. C’est insupportable. Car l’une des plaies structurelles du temps consiste justement dans cette personnalisation à outrance du personnel politique aux dépens des vrais enjeux, qui ne se décident jamais en conseil des ministres mais toujours au sein de la société civile. Au moins quand on est de gauche.
En ce sens, un président sans charisme, sans grand projet, mais sans infamie, on ne saurait rêver mieux : il nous protège d’avance de toute attente grotesque d’un dieu, d’un sauveur ou d’un tribun, et nous renvoie à nos propres responsabilités – construire ensemble et par nous-mêmes l’alternative de demain.

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