Engagez-vous, rengagez-vous, qu’y disaient !

Jean-Michel Véry  • 28 juin 2012 abonné·es

On pourrait l’appeler le « Grand Charles ». Charles : son prénom. Sa taille : 1,80 m. Son statut : militaire. Un beau blond au regard azur, typé scandinave, limite aryen. Du haut de ses 19 ans, il est parti début mai pour Kapissa. Charmante province afghane à l’est du pays, réputée pour son soleil, ses dunes de sable blanc, son accueil, ses festivités.

D’ailleurs, on s’étonne expressément de ne pas voir la destination au catalogue de lastminute. com. Certes, vous direz que « notre nouveau président s’est engagé à rapatrier nos loustics au plus vite » . A priori, c’est pas gagné. Au G8, sur le sujet, Barack, au bas mot, s’est déclaré sécessionniste. Comme Gérard Longuet. Dans le meilleur des cas, ça sera pour 2013. Sinon, comme prévu, 2014.

En attendant, voilà Charlie à des milliers de kilomètres de sa famille, de ses amours, de ses racines. Dans des contrées sauvages où la main de l’homme n’a jamais pris son pied. Lui, né à la campagne, dans le Loir-et-Cher (à Michel Delpech), enfant de Couture-sur-Loir, pays de Ronsard. Lui qui a grandi dans les champs, entre vignerons et agriculteurs, et qui voulait être pompier. Non ! Non ! Pas à Paris. Altruiste, mais ni gymnaste ni idiot. Et puis le calendrier ne s’y prêtait pas. Alors il a signé pour trois ans avec la grande muette, étrangement prolixe lors des sessions de recrutement. « Une expérience unique [un one-shot], une aventure collective [sous la tente], de la mixité sociale, religieuse, des billets de trains à prix réduits [idéal entre Kaboul et Mahmoud-é-Râqi], des outils adaptés [Famas, PGM…]. » Mais surtout un salaire, enfin une solde (de tout compte) : 1 260 euros net sur le territoire national, 2 800 euros en opérations extérieures. Le prix d’une vie.

Le nerf de la guerre économique, qui gronde et qui ronge, envoie des gamins chercher un revenu et un statut dans une autre guerre. Plus ou moins compréhensible, au moins aussi meurtrière. À comparer avec les suicides grecs ou italiens de ces dernières semaines.

Revenu assuré par l’État sans pour autant en revenir en état. Encore qu’il n’y ait rien de garanti sur la fiabilité du versement des salaires, à voir les récentes revendications des épouses de militaires qui ont manifesté en mars
devant le ministère de la Défense.

Selon l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), 13 000 soldats n’ont reçu qu’une solde partielle en octobre. En cause : le logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois) qui aurait buggé, dixit Jacques Roudière, DRH au ministère de la Défense. Louvois ? Du verbe louvoyer ? Depuis, le dysfonctionnement perdurerait pour quelques centaines de militaires. Espérons que les savants logiciels guerriers utilisés en Afghanistan pour protéger ces enfants-soldats seront plus performants. Inch Allah !

Car, si mon Charles (de Gaule) avait trouvé à faire dans sa province humide, infestée de pêcheurs à la ligne, balisée de caves viticoles, minée par les tracteurs agricoles John Deere (une référence américaine), loin des snipers et autres talibans à la barbe fleurie au pavot, serait-il parti ? Non ! Alors, je m’énerve. Après tout, c’est mon neveu et filleul. D’ailleurs, je connais très bien ses parents… Lesquels se partagent entre fierté et inquiétude.

Inquiétude partagée au regard des 87 victimes françaises en Afghanistan, mettant ce théâtre d’intervention au 4e rang des opérations les plus meurtrières depuis la fin de la guerre d’Algérie. La plus jeune victime avait 19 ans. Il s’appelait Kevin et était originaire, lui, de Couthures-sur-Garonne, en Aquitaine.

Et de repenser à toutes ces cérémonies de deuil menées tambour battant par le candidat et président sortant. Funérailles nationales, serrage de louches, bises à la famille, médailles posthumes, drapeau tricolore et retransmission en direct sur BFM TV. « Non, François Perrin, tu n’es pas mort pour rien ! » Et tout ça pour quoi ? Fluidifier nos relations internationales ?

Démontrer que notre puissance militaire excelle encore ? Moi qui pensais que tout était plié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors, François, toi Président élu, chef des armées, concentré sur notre jeunesse (c’est le leitmotiv de ta campagne), père de famille, en charge de l’international, presse le pas et fais en sorte que nos enfants ne soient plus cautions de conflits où les armes américaines ou européennes ne régleront rien. Si ce n’est attiser haine, incompréhension, et susciter des vocations kamikazes, ici ou là-bas. Concentre-toi sur la Syrie ou le Mali, par exemple. Sous couvert de voyage d’étude, tu pourrais y envoyer Marine et son duo de députés. L’affaire serait vite torchée.

J’ai reçu un SMS de Charles ce matin. Il s’étonne de la chaleur et du lever du soleil à 4 h 36. Il admire les paysages sublimes, mais il trouve que les Afghans sont bizarres…

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