Pascal Canfin : « L’aide passera davantage par les ONG »

L’ancien ministère de la Coopération, nommé désormais ministère du Développement, va connaître de grands changements, explique Pascal Canfin. Le jeune ministre compte s’appuyer sur son engagement d’écologiste pour réorienter l’aide publique au développement. Il détaille aussi son engagement dans la lutte contre les flux financiers opaques, qui menacent les politiques publiques de développement.

Thierry Brun  et  Patrick Piro  • 21 juin 2012 abonné·es

Quelle évolution envisagez-vous pour ce ministère entaché, ces dernières années, d’une image négative, en grande partie due aux affaires et aux réseaux officieux de la Françafrique ?

Pascal Canfin :  Ma mission au sein du gouvernement est de conduire la politique de la France en termes d’aide au développement. Cela signifie, par exemple, que je ne suis pas en charge des relations politiques avec les chefs d’État. La politique étrangère est menée exclusivement par le président de la République et par le ministre des Affaires étrangères. Autre évolution importante, la cellule Afrique de l’Élysée est partie intégrante de la cellule diplomatique. En d’autres termes, il n’y a pas de canal parallèle pour l’Afrique, comme cela a pu exister auparavant. Cette nouvelle architecture me permet de me concentrer sur les politiques de développement. Enfin, depuis son entrée en fonction, le Président a rencontré des chefs d’État africains dans un cadre multilatéral, par exemple le président du Bénin en tant que président de l’Union africaine, ce qui tranche avec son prédécesseur. Sur la question des biens mal acquis, le président de la République et la ministre de la Justice, Christiane Taubira, ont clairement indiqué qu’il n’y aura aucune intervention de l’État dans les affaires en cours.

Quelles sont vos marges de manœuvre politiques dans ce ministère ?

Je souhaite inscrire mon action dans plusieurs directions. La concertation et le dialogue avec les ONG en est une. Dans ce cadre, je travaille à la mise en place de l’un des engagements de François Hollande dans la campagne, qui vise à doubler l’aide publique au développement passant par les ONG. Ensuite, je souhaite agir dans le domaine des flux financiers du Nord vers le Sud, mais aussi du Sud vers le Nord. Les aides publiques ne représentent que 14 % des flux mondiaux Nord-Sud, selon les chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Les transferts d’argent venant des migrants, c’est beaucoup plus. Cet argent qui est dirigé vers les villages et les communautés locales pour financer tel ou tel projet a un impact important dans les pays concernés, complémentaire de celui que peut avoir l’Agence française de développement. Je souhaite donc travailler à faire baisser les commissions des intermédiaires qui ponctionnent les transferts des migrants. Enfin, les flux financiers qui quittent les pays du Sud, dont certains passent par les paradis fiscaux, représentent plus de dix fois l’aide publique au développement. Ces pertes fiscales pour les pays du Sud sont autant de manques à gagner qui entravent leurs capacités à mener des politiques publiques de développement. Dans le décret d’attribution de mon ministère, il y a ainsi pour la première fois une mention faite de ce travail avec Bercy, parce que c’est un sujet sur lequel je veux intervenir de manière significative, en liaison avec l’Union européenne et la directive en cours de négociation pour assurer la transparence des comptes des entreprises européennes.

Les ONG de solidarité internationale, que vous avez reçues récemment, ont rappelé que la France reste loin de ses engagements en matière de financement de l’aide publique au développement. Avez-vous l’intention d’augmenter cette aide ?

L’engagement de la France est d’atteindre 0,7 % du revenu national brut pour 2015. Dans un contexte budgétaire national difficile, il faut bien sûr se battre pour augmenter la décimale après la virgule. Mais, en même temps, si on ne fait rien contre les flux qui sortent des pays du Sud de manière plus ou moins opaque ou grâce à l’optimisation fiscale, on s’aperçoit qu’on essaie de vider la mer avec une petite cuillère. Dans les prochaines semaines, je décomposerai le budget de l’aide publique au développement et nous regarderons ce qui est utile et ce qui l’est moins. La politique menée jusqu’à présent pour atteindre cet objectif budgétaire du 0,7 % a conduit l’Agence française de développement à accorder des prêts à des pays qui n’en ont pas toujours besoin. Cette logique a également conduit à privilégier des projets dont, en tant qu’écologiste, je ne suis pas sûr qu’ils soient prioritaires. Il faut donc examiner le contenu de cette aide et pas seulement son montant. Si on fait plus de dons et moins de prêts, ce qui est une option politique possible, on diminuera l’aide publique au développement. Par définition, les prêts, qui ont vocation à être remboursés, pèsent moins sur le budget. Mais, dans les pays les plus pauvres, faire des dons est plus utile. Il ne faut pas être dans le fétichisme du chiffre pour le chiffre, cela peut être contre-productif dans une logique de développement soutenable. Ces choix seront faits après une concertation avec les acteurs concernés dans la société civile.

Il s’agit d’un changement de méthode par rapport à votre prédécesseur…

La ligne précédente avait clairement pour but de faire du chiffre. Mon ambition consiste, pour cette année, à stabiliser la mission budgétaire d’aide publique au développement, à examiner ce qui est efficace et utile, et, ensuite, à mettre en place une loi de programmation sur l’aide publique au développement, un engagement du Président pendant sa campagne, ce qui permettra en outre au Parlement de jouer son rôle, notamment de contrôle.

Comment les ONG seront-elles associées ?

Les ONG n’avaient pas été reçues depuis plusieurs mois par ce ministère. Lors de mon premier déplacement à Bruxelles, j’ai rencontré les responsables de la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement [Concord]. J’ai également reçu la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale  [Coordination Sud], le Centre de recherche et d’information pour le développement [Crid, collectif de 53 organisations françaises]. Nous allons, dans les prochaines semaines, mettre en place les formes de concertation avec les ONG. Je leur ai proposé de me faire part des sujets qu’elles veulent aborder dans les six prochains mois, de façon à ce que nous préparions un agenda qui tienne compte de leurs priorités et que ce ne soit pas moi qui définisse seul les sujets de la concertation. François Hollande a aussi souhaité que des assises de la solidarité internationale soient organisées. Nous verrons rapidement comment mettre cela en musique.

Doubler l’aide au développement en direction des ONG ne veut-il pas dire aussi un contrôle de celles-ci ?

Les ONG sont déjà évaluées. Au-delà des seules ONG, quel est l’impact de l’aide sur le terrain ? Aujourd’hui, nous avons parfois du mal à mesurer les résultats obtenus en termes d’éducation, d’accès aux soins, d’infrastructures… Comme l’explique l’économiste Esther Duflo : une fois que des classes ont été ouvertes et que des enfants ont été scolarisés, l’enjeu est bien qu’ils arrivent à lire et à écrire… Il s’agit de raisonner sur l’ensemble du service. Et là, il y a des marges de progression.

De quelle manière le ministère du Développement peut-il intervenir ?

D’abord par le biais de sa tutelle sur l’opérateur principal : l’Agence française de développement. Ensuite, en pesant sur les positions françaises défendues au niveau européen ou du G20. Compte tenu de mon profil et de ma couleur politique, l’agriculture, l’énergie et l’économie sont des sujets sur lesquels, politiquement, je pèserai sans doute plus que mes prédécesseurs.

Mais d’autres ministères, comme celui du Développement durable, peuvent avoir des prérogatives dans les mêmes domaines que les vôtres…

Le fait qu’on puisse avancer dans le même sens avec Nicole Bricq [ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie] est en soi une bonne chose. Moi, l’écologiste qui a en charge le développement, et Nicole Bricq, qui a en charge la transition écologique, nous défendrons ensemble certains dossiers et une vision partagée. Une de mes priorités est que le développement durable soit au cœur de l’aide publique au développement. Je souhaite par exemple introduire une grille de lecture permettant de mesurer l’impact social ou environnemental de tous les projets financés par l’aide publique au développement… Autre point important, l’ensemble des négociations internationales sur les questions environnementales, notamment la biodiversité ou le climat, qui étaient du ressort du ministère de l’Écologie, sont désormais dans les attributions du ministère du Développement. Je mènerai donc les négociations, en cohérence avec la ministre de l’Écologie bien évidemment. Enfin, la ligne de crédit du codéveloppement, aujourd’hui nommé « développement solidaire », qui était du ressort du ministère de l’Intérieur, sera désormais sous ma responsabilité. J’entends bien en faire autre chose qu’un simple « chèque au retour ».

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Et maintenant, justice sociale !
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