Robert Fisk : « Bachar Al-Assad a encore des soutiens »

Grand spécialiste du Proche-Orient, le journaliste britannique Robert Fisk propose ici une analyse détonante de la crise syrienne.

Alexis Duval  • 7 juin 2012 abonné·es

Installé depuis de nombreuses années à Beyrouth, le correspondant de The Independant, Robert Fisk, est l’un des meilleurs spécialistes de cette région. Nous avons extrait ces quelques réflexions d’un entretien qu’il a accordé le 31 mai au journaliste Tony Jones, de la télévision australienne (Australian Broadcasting Corporation). C’était au lendemain du massacre de Houla.

Le rapport de force en Syrie

« Je pense que le parti Baas de Bachar al-Assad et de son père est encore profondément implanté, et je ne crois pas que nous allons assister à son renversement aussi vite que le souhaitent M. Obama, Mme Clinton et M. Cameron. Le parti Baas compte beaucoup de soutiens, et pas seulement les membres de la communauté alaouite, ou les chrétiens et les druzes, mais beaucoup d’autres au sein de la bourgeoisie syrienne, parmi la classe moyenne. »

L’attitude des Occidentaux

« J’ai couvert la guerre civile en Algérie entre 1991 et 1998. Les élections avaient été interrompues alors que les islamistes étaient sur le point de les remporter, et cette interruption s’était faite avec le soutien des Occidentaux. Une terrible guerre civile s’ensuivit. Des femmes et des enfants ont été égorgés, et l’armée a attaqué des villages comme aujourd’hui en Syrie. À la fin, les Occidentaux se sont montrés très satisfaits que le gouvernement ait stoppé les islamistes. Et, comble d’ironie, cette Algérie approuvée par les capitales occidentales avait envoyé une délégation militaire à Damas pour s’inspirer de la façon dont la Syrie avait anéanti la révolte islamiste de Hama, en 1982, qui avait fait 20 000 morts. ».

L’opposition syrienne

« Je pense qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux le moindre des propos [du colonel Riad al-Assad, commandant de l’Armée syrienne libre]. Chaque fois que j’ai passé la frontière et tenté de rencontrer l’armée, j’ai eu trois ou quatre versions de ce qu’il disait. » « Puisque nous ne savons pas de quoi est composée l’opposition, tout ce que nous – je veux dire l’Occident – pouvons faire, c’est exprimer notre indignation à l’égard de Bachar al-Assad et son régime. Mais nous ne pouvons pas offrir un soutien trop important à l’opposition, qui pourrait compter dans ses rangs des membres d’Al-Qaïda et dont les membres pourraient être impliqués dans le massacre de Houla. Pour le moment, on ne sait pas. Je ne dis pas que Bachar al-Assad est un homme bon. Ce n’est pas un homme bon, c’est un homme mauvais. »

Ce qu’il faudrait pour faire tomber le régime

« Ce qu’il faudrait, ce sont les forces armées syriennes, et j’entends par là les chars d’assaut, les forces anti-aériennes, et ainsi disposer d’assez de militaires prêts à se dresser contre le régime, et nous n’avons pas vu cela. Je ne pense pas que nous le verrons dans un futur proche. Le régime militaire syrien est resté loyal envers la présidence. Et tant que c’est le cas, tant que Damas et Alep (les deux principales villes du pays) restent loyales au régime, Bachar al-Assad ne sera pas renversé. »

Que peut-on espérer ?

« L’idée que peut triompher une nouvelle Syrie qui représenterait vraiment l’ensemble du peuple syrien – les sunnites, les chiites, ce qui veut dire aussi les alaouites de la présidence, Bachar al-Assad, les chrétiens, les druzes, et tous les autres – est plus facile à dire à la télévision australienne qu’à réaliser. »

Traduction par Alexis Duval

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

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