La « Ligue de défense juive » continue de frapper impunément

Plusieurs agressions et menaces refont parler de la « Ligue de défense juive », un groupuscule qui revendique des agressions contre les militants de la cause palestinienne. Ses victimes réclament une dissolution.

Sonia Bertrand  • 13 juillet 2012
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La « Ligue de défense juive » continue de frapper impunément
© Photo : AFP / Boris Horvat

Les victimes sont presque autant choquées par leurs agressions que par le silence qui les entoure. En quelques jours, deux militants de la cause palestinienne ont été agressés par des membres présumés de la Ligue de défense juive, un groupuscule qui prétend organiser l’autodéfense du peuple juif et « lutter contre l’antisémitisme ».

Le 28 juin, Olivia Zémor présidente de l’association CAPJPO-EuroPalestine qui prépare notamment le départ d’une opération « Bienvenue en Palestine » en direction des territoires palestiniens, du 23 au 31 août, a été aspergée de peinture à l’huile rouge alors qu’elle était assise à la terrasse d’un café dans le 11e arrondissement de Paris. Un inconnu lui avait fixé rendez-vous pour discuter de l’opération en cours de préparation. La militante n’a pas reçu de coup, mais elle a été admise aux urgences en raison de la toxicité du produit, manifestement mélangé à un liquide collant. Elle en est sortie avec 5 jours d’incapacité totale de travail (ITT). L’homme qui lui avait donné rendez-vous a pris la fuite.

Trois jours après les faits, la LDJ revendiquait l’action dans une vidéo. Certains internautes claironnaient même sur le réseau social Twitter (sur demande de son auteur, le tweet a été anonymisé):

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Jacob Cohen, écrivain antisioniste a subi une attaque similaire le 5 juillet dans le quartier Saint-Paul, proche du lieu de la première agression, alors qu’il pensait se rendre à un rendez-vous avec un journaliste. Le 12 mars 2012, il avait déjà été « enfariné » au cours d’une séance de dédicaces par des membres de la LDJ, qui revendiquent ces deux agressions dans des vidéos. Deux jours après l’agression, un tag à la peinture rouge maculait la porte d’un garage collé à la librairie militante Résistances, déjà mainte fois ciblée par la LDJ. Jacob Cohen y donnait une conférence[^2], samedi 7 juillet, sous étroite protection. Selon des témoins, un car de CRS était également stationné à proximité de la librairie.

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De la farine et des bouteilles de peinture à l’huile gluante : les récentes agressions de la « Ligue de défense juive » sont surtout symboliques. Mais le groupe s’est montré plus brutal par le passé. Plusieurs personnes en France ont été blessées, parfois grièvement, au cours d’agressions attribuées au groupe ou « à la mouvance LDJ », selon l’expression consacrée. Ce fut le cas en 2002 d’un commissaire de police qui tentait d’intervenir à l’issue d’une manifestation de soutien à Israël qui dégénérait sur la place de la Bastille, toujours dans le 11e arrondissement de Paris. Le policier avait reçu un coup de couteau à l’abdomen. Aucune condamnation n’avait été prononcée dans cette affaire, selon plusieurs militants associatifs.

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Depuis, on ne compte plus les faits de violences associés au logo jaune et noir de la LDJ, représentant un poing serré sur fond d’étoile de David.

Résumé non exhaustif des affaires (cliquer ici).

-En décembre 2003, quatre étudiants de la faculté de Nanterre ont été violemment frappés avec des casques de moto dans l’enceinte même du tribunal administratif de Paris. Les victimes, membres de l’Agen (Association générale des étudiants de Nanterre), se rendaient à une banale audience pour une affaire de local associatif. Selon un proche de l’affaire, les membres de la LDJ, qui reprochaient à l’association son engagement pour la cause palestinienne, étaient venus pour en découdre, blessant lourdement une des victimes à l’œil (45 jours d’ITT). Huis mois de prison avec sursis ont été prononcés dans cette affaire contre un des responsables présumés du groupuscule. 

-En 2004, un cadre présumé de la LDJ a également écopé de quatre mois de prison pour violence en réunion avec arme et préméditation.  

Le groupuscule a redoublé de nuisance en 2009, au lendemain de l’opération « Plond durci » menée par l’armée israélienne sur la bande de Gaza. Une période de forte tension qui a donné lieu, en juin dernier, à deux audiences au palais de justice de Paris :

  • Une affaire datant du 4 janvier 2009 a été auditionnée le 5 juin 2012 par la 17e Chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Cette fois-ci, trois jeunes jugés proches de la LDJ accusaient 5 personnes de les avoir agressés à l’issue d’une manifestation de soutien au peuple palestinien, où la LDJ était venue contre-manifester. Après une première altercation à l’entrée du métro, une bagarre avait explosé entre des jeunes. Le procureur a requis un an de prison ferme contre les deux accusés, pour un nez cassé et 15 jours d’ITT sur l’un des trois plaignants (0 et 1 jour d’ITT pour les autres), en raison du « caractère antisémite » qu’il souhaite retenir pour ces violences. Le jugement a été mis en délibéré.

  • En avril 2009, des membres de la LDJ ont pris à parti les participants d’une soirée de l’association Génération Palestine, organisée sur le boulevard Voltaire à Paris, dans le 11e arrondissement. Mais lorsque deux sympathisants de Génération Palestine se rendent au commissariat pour déposer plainte pour agression, contre une quinzaine d’individus, ils se retrouvent à leur tour mis en accusation et placés en garde à vue. Les deux parties comparaissaient le 12 juin 2012. Deux militants de la LDJ ont été condamnés à des peines de 4 et 6 mois de prison avec sursis, tandis qu’aucun délit n’a finalement été retenu contre les sympathisants de Génération Palestine.

  • La librairie Résistances, déjà ciblée au lendemain de son ouverture en 2006, a été violemment saccagée le 3 juillet 2009. Des livres ont été aspergés d’huile et le matériel informatique détruit. Quatre des cinq auteurs, rapidement retrouvés après les faits, ont été condamnés en comparution immédiate à des peines de prison avec dommages et intérêts. Dans cette affaire, un officier de police en charge de l’enquête avait fait l’objet de menaces par téléphone selon les comptes-rendus de l’audience

  • Le 5 mai 2011, une bande de militants a fait irruption dans une soirée organisée par l’association France-Palestine à la mairie du XIVe arrondissement de Paris.

Les militants de la cause palestinienne se plaignent également de menaces de mort répétées et de nombreux actes d’intimidations, pour lesquels il est impossible d’établir un lien direct avec les agissements de la LDJ. De la poudre blanche dans une enveloppe adressée au local de l’association CAPJPO-Europalestine ; un appel anonyme pour proférer des menaces « très circonstanciées » etc. 

Impunité

Au cours de multiples audiences, les accusés nient toute appartenance à la LDJ. Ils réfutent même l’existence du groupe, qui n’a pas déposé de statut en préfecture et reste peu connu du grand public. Sur le Net, la LDJ se montre pourtant très active. Elle expose ses entraînements d’« autodéfense » ou appelle les volontaires pour des voyages en Israël « réservés aux militants ayant une expérience militaire » . « Devant les juges, ils disent que ça n’existe pas, puis ils nous menacent sans complexe », raconte un témoin qui préfère conserver l’anonymat, outré par « la certitude d’impunité » dont jouit la vingtaine de personnes qui compose le noyau du groupe.

Ils dénoncent le « deux poids deux mesures » des tribunaux, qui retiennent le caractère « antisémite » mais ne prennent jamais en compte l’appartenance à la LDJ de ses membres qui comparaissent, malgré les preuves accablantes. 

Certaines plaintes ne font l’objet d’aucune enquête, même lorsque les responsables – désormais bien connus – sont formellement identifiés, comme ce fut le cas lors de la première agression de Jacob Cohen, en mars 2012. « C’est absolument fou que des violences, parfois extrêmes comme en 2002, ne donnent lieu à aucune poursuite », s’interroge un des coprésidents du Mrap, contacté ce vendredi. C’est à croire qu’on laisse faire pour attiser les violences communautaires, tempête un proche des dossiers qui préfère conserver l’anonymat. Le silence [des autorités] est coupable, car la LDJ est vraiment génératrice de haine raciale. »

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), est aussi éclaboussé par ces accusations, jugé trop timoré dans sa critique du groupuscule qui serait « son bras armé », selon une expression de Jacob Cohen. « Ce sont des mensonges absolus , tempête Richard Prasquier, président du Crif contacté ce vendredi *. La LDJ a des positions et des modes d’action que je réprouve totalement. Au niveau des idées nous sommes aux antipodes. Je suis d’ailleurs moi-même la cible d’insultes sur leur site. Ce sont des jeunes gens paumés pris en charge par une poignée d’adultes, ils sont très peu nombreux. Le fait qu’ils soient vociférants ne doit pas en faire une espèce de spectre qui siégerait à l’extrême droite de la communauté juive. »*

Dissolution

« La LDJ est une organisation raciste et fasciste », tranche le coprésident du Mrap. Les associations réitèrent donc leur demande au ministre de l’Intérieur de faire interdire le groupuscule, en tant que « groupement de fait ». Une première demande avait notamment été formulée, sans réponse, en avril 2002. « Nous avons écrit de nombreuses lettres aux autorités ou les avons alertées lors d’entretiens, des parlementaires ont fait de même, et aucun résultat n’a été obtenu » , déplore l’Union juive française pour la paix dans un communiqué, le 11 juillet 2012. Suite aux récentes agressions, une pétition a été mise en ligne pour tenter d’alerter le nouvel exécutif et Jacob Cohen a adressé une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur Manuel Valls. 

« On commence à espérer », raconte une proche du dossier, confirmant le sentiment d’un militant de l’association CAPJPO-EuroPalestine, selon qui « les forces de l’ordre prennent ces affaires très au sérieux ». « L’idée fait son chemin de façon laborieuse », ajoute le coprésident du Mrap, lui-même visé personnellement par des menaces de mort après le saccage des locaux de l’association en avril 2002.

Le Crif se montre en revanche beaucoup plus mesuré. L’interdiction de la LDJ n’est pas à l’ordre du jour, estime Richard Prasquier :

« Le choix de la dissolution ne me paraît pas être un sujet d’une grande urgence. Je ne pense pas que la LDJ ait été accusée de méfaits graves. J’en n’en sais d’ailleurs pas grand-chose. »

Dernièrement, deux groupes ont déjà fait l’objet d’une dissolution : le groupuscule djihadiste Forsane Alizza a été dissous par Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, en février dernier. Jacques Chirac avait prononcé la dissolution de la « Tribu K », en juillet 2006. Israël et les États-Unis ont aussi pris des mesures pour interdire le parti Kahane Chai, présenté comme proche de la LDJ française. 

Contactés en début de semaine, le ministère de l’Intérieur et la préfecture de police de Paris n’ont donné aucune suite à nos questions. 

  • Ajout, lundi 16 juillet à 11h30 : les déclarations de Richard Prasquier sur la question de la dissolution ont été ajoutées.

[^2]: Il assure la promotion de son ouvrage « Dieu ne repasse pas à Bethléem»

Monde Politique
Temps de lecture : 11 minutes
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