Faut-il publier les frais des députés ?

L’indemnité pour frais de mandat des députés paraît bien opaque à de nombreux citoyens. André Chassaigne et Barbara Pompili sont favorables à une déclaration sur l’honneur de chaque député sur l’utilisation de ces crédits. Et le premier propose d’en demander le détail, tandis que la seconde préconise un contrôle aléatoire par tirage au sort.

Olivier Doubre  • 4 octobre 2012 abonné·es

Illustration - Faut-il publier les frais des députés ?

Tout d’abord, je voudrais expliquer ce que touche un parlementaire et de quelle manière. Chaque député perçoit trois types d’indemnités. Son indemnité personnelle, qui est en quelque sorte son salaire (dont le montant est connu, 5 514 euros) ; le « crédit collaborateurs » (9 138 euros), destiné à rémunérer des assistants, dont les cotisations sociales patronales sont versées par le budget de l’Assemblée ; enfin, l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), qui se monte à 6 412 euros.

Pour ma part, je prélève près de 11 % de cette dernière pour augmenter mon « crédit collaborateurs », afin de payer une partie du salaire de mon quatrième assistant. Par ailleurs, je verse, comme les autres membres, 1 500 euros à notre groupe pour son fonctionnement et pour rémunérer des collaborateurs spécialement dédiés au groupe. Et je conserve tous les relevés concernant mes frais, qu’une de mes collaboratrices archive chaque mois.

La proposition du président de l’Assemblée consistait à prélever – ce que je fais déjà – environ 10 % de l’IRFM pour les reporter sur le « crédit collaborateurs », c’est-à-dire à mettre plus d’argent sur l’emploi, afin qu’avec davantage d’assistants on puisse améliorer encore la qualité du travail parlementaire. Et puis le président a demandé que l’on fasse une déclaration sur l’honneur quant à nos dépenses, déposée auprès du déontologue de l’Assemblée.

J’approuve ces propositions, mais je pense que, sans entrer dans une impossible comptabilité d’entreprise, on doit pouvoir aller plus loin et rendre publiques, peut-être sous la forme d’un formulaire ad hoc, les grandes lignes des dépenses que l’on a effectuées dans l’année, ou durant les cinq années de mandature.

Je crois que, si l’on veut redonner à la politique ses lettres de noblesse, il faut aller vers toujours plus de transparence et être capables de faire la démonstration auprès de l’opinion publique, et de ceux qui nous ont élus, que l’argent que l’on reçoit n’est pas destiné à un usage privé, mais bien utilisé dans le cadre de nos fonctions.

Nous n’en avons pas encore discuté dans le groupe, mais, à titre personnel, je me déclarerai favorable au fait de dépasser la simple déclaration sur l’honneur, afin d’expliquer à ceux que cela intéresse, et plus largement à l’opinion, comment nous utilisons ces crédits. Aller plus loin en termes de transparence dans l’utilisation de l’IRFM redonnerait, à mon avis, une forme de considération au mandat que nous assurons. Et ce souci de clarté permettrait de renouveler une certaine confiance des électeurs vis-à-vis de leurs représentants au Parlement.

En revanche, nous nous sommes abstenus sur un amendement déposé en juillet dernier par le député Charles de Courson [centre-droit, ndlr], qui tendait à fiscaliser l’IRFM, ce qui revenait à considérer cette indemnité comme un véritable revenu complémentaire, ou comme des fonds utilisés à des fins personnelles.

C’était une très mauvaise idée, et je suis bien heureux qu’elle n’ait pas été adoptée. Dans l’usage que je fais de l’IFRM, je suis au contraire très attentif à ce que cela ne représente justement pas un revenu complémentaire ! Et s’il y a un reliquat, je suis favorable à ce qu’il soit reversé, soit au groupe parlementaire (c’est ce que nous faisons déjà), soit directement à l’Assemblée nationale. 

Illustration - Faut-il publier les frais des députés ?

La proposition avancée par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui souhaite mettre en place une déclaration sur l’honneur obligatoire pour chaque député quant à la bonne utilisation de son indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), nous semble aller dans le bon sens. L’honneur est une valeur importante, surtout pour un représentant de la nation. Ce serait donc un progrès. Cependant, nous pensons qu’il est possible d’aller plus loin, en ­instituant un système de contrôle des frais de mandat et donc de l’utilisation de l’IRFM. Nous ne proposons pas un contrôle systématique de tous les députés : ce serait en effet trop lourd à la fois pour l’Assemblée mais surtout pour les députés, qui n’ont pas les moyens de tenir très précisément une telle comptabilité.

Mais nous souhaiterions mettre en place un contrôle aléatoire par tirage au sort de quelques députés chaque année, ils devraient alors fournir des justificatifs ­concernant la bonne utilisation de leur IRFM. Ce contrôle serait exercé par le déontologue de l’Assemblée, qui joue aujourd’hui un rôle de conseil très important, en particulier pour les nouveaux élus. Son rôle serait ainsi renforcé et élargi, ce qui nous semble également aller dans le bon sens.

Quant à la question de savoir que faire lorsque l’ensemble de l’IRFM n’a pas été dépensé, nous considérons que la nature de cette indemnité exige qu’en cas de reliquat, celui-ci soit reversé au budget de l’Assemblée nationale. D’autres élus à gauche ont proposé de prévoir la possibilité de le reverser au groupe parlementaire auquel le député appartient. Nous sommes évidemment conscients du fait que les groupes parlementaires, notamment les plus petits, manquent de moyens pour pouvoir mieux travailler, mais c’est pour nous essentiellement une question de principe : il apparaît logique que le reliquat d’une indemnité versée à chaque député pour subvenir à ses frais de mandat retourne au budget de l’Assemblée. C’est d’ailleurs pour la même raison que nous nous étions opposés à l’amendement déposé par Charles de Courson en juillet dernier, souhaitant fiscaliser l’IRFM. Cela revenait à en changer la nature et à la considérer comme un vrai complément de revenus en l’imposant comme telle. Or si elle devenait un complément de salaire, alors rien n’empêcherait l’élu de l’utiliser comme bon lui semble, en partant en vacances avec sa famille par exemple ! C’est précisément ce que nous voulons éviter ou plutôt ce à quoi nous voulons mettre fin, puisqu’on sait que des abus existent ou ont existé.

Enfin, nous appuyons sans équivoque l’autre proposition de Claude Bartolone, consistant à diminuer de 10 % cette indemnité représentative de frais de mandat pour reporter cette baisse au profit du « crédit collaborateurs » de chaque député. Il nous semble en effet tout à fait positif d’augmenter les fonds alloués à chaque député pour rémunérer correctement des collaborateurs et étoffer leur équipe (avec des embauches, donc). Cette nouvelle répartition des crédits des députés serait ainsi grandement profitable à la qualité du travail parlementaire, sans grever davantage le budget de l’Assemblée nationale.

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