C’est pas bientôt fini ?

François Cusset  • 20 décembre 2012 abonné·es

Ah, enfin une bonne nouvelle : la fin du monde n’est certes pas datée très précisément (la cosmologie maya étant, elle aussi, un peu datée) mais elle aura bien lieu, c’est désormais certain, et même prochainement, c’est d’ailleurs la seule publicité non mensongère de la saison. Une déflagration magnifique, graduelle comme les étapes d’une grande cuite, puissante comme le vent de l’histoire a cessé de l’être depuis longtemps, et définitive comme nos petites machines à informer n’ont jamais su l’être – une déflagration pleine d’incandescence crépitante et de magmas absorbants, à côté de laquelle le magma socialo-droitier des cravatés qui nous gouvernent (si mal) ou même le magma de rancœurs et de remugles qui submerge le parti droitiste évoqueraient plutôt, quant à eux, le pet de lapin, ou la flatulence à travers les cordes d’un violon.

De la grosse déflagration, donc, avec des débris de désordre mondial et des lambeaux de carriériste décomplexé voletant dans tous les sens, avec notre bande de ploutocrates globalisés soudain vaporisée dans l’air chaud, petites particules enfin inoffensives, et nos importants de tous bords ne projetant plus comme paillettes que celles que font sur le ciel noir les derniers éclats de leurs corps explosés. Du feu d’artifice pétaradant, version sérieuse, de quoi lancer en orbite, accrochés aux mêmes obus que dans un film de Georges Méliès, les donneurs de leçons et les esclaves du commentaire, et ne plus laisser dans les craquelures de feu notre sol que les souvenirs amers des non-intégrés, soulagés de pouvoir enfin passer au stade du désintégré, et quelques miettes de pain au chocolat. Tous ceux qui n’ont rien à y perdre danseront autour des braseros, et boiront une dernière fois en hommage à la justice de cette fin simultanée, cette mort enfin égale, qui fait fondre sous la lave du temps nos mesquines hiérarchies, récemment bien agravées.

De leur côté, ceux que leur argent, leur arsenal antimétéorites, leur petit statut d’oligarque ou juste un ego cosmique étaient censés rendre invincibles tourneront dans tous les sens, consumés par le feu et les regrets d’une vie, rassemblant leurs possessions comme Harpagon sa cassette, et s’y calfeutrant en vain, comme on ferme le verrou de sa porte de voiture quand elle se trouve assiégée par les Hummer énervés d’un Cartel mexicain. Ils supplieront leurs nombreux subalternes – façon remake millénariste d’un très bon petit film de Hegel, sur le maître et l’esclave – de bien vouloir remettre ici des sacs de sable, là une goutte de grand cru dans leur calice, ou même une ultime petite gâterie, et ils n’obtiendront pour réponse qu’un bras d’honneur enfin libre, le détalage des émancipés, tout juste un peu déçus que leur grande libération n’ait lieu qu’à la fin, par la fin, grâce aux vertus de la fin – qu’on avait longtemps sous-estimées, méprenant nos bêtises bavardes sur la « fin de l’histoire », la « fin de la différence » ou la « fin des idéologies » pour de vraies fins, quand elles n’étaient que des fins de mots, ces petits zakouskis verbaux qui se mangent sans fin.

Alors que la fin, la vraie, donne des ailes, pas les ailes qui font aller en Belgique en rampant, à Davos en skiant, ou aux îles Caïman d’un petit virement, plutôt des ailes d’anges hilares planant de blague en blague au-dessus du dernier brasier, non sans se papouiller les uns les autres, au risque de voir leurs élytres prendre feu au détour d’un survol en rase-mottes. Oui, la fin est une bonne chose, du moins quand elle n’est suivie d’aucun gérondif : tout le contraire d’une fin d’époque, ce machin qui n’en finit plus de se déliter, d’une fin de non-recevoir, cette réplique sèche que font aux peuples perplexes tous les nabots à calculettes, ou même d’une saloperie de fin d’année, ce gavage de rata frelaté et de bons sentiments qui ne provoque aucun autre son libérateur que celui qui soulage toujours les aérophagistes, et qui scelle dans le même cloaque gazeux les petites familles et les petites bandes, grégaires et nauséeuses.

Alors qu’un réveillon dont on aurait la certitude, tragi-cosmique, qu’il est bel et bien le dernier, ça aurait quand même une autre gueule : tous les possibles invités à la grande table du bilan, désolés de ne pas s’être faits plus actuels, promettant de se rappeler au souvenir des défaitistes et des désespérés, et de faire mieux la prochaine fois, si par malheur il y en a une. C’est vrai, il ne faut pas fêter trop vite une bonne nouvelle, elle n’est jamais absolument certaine. On risque d’avoir l’air tout cons avec nos utopies dégoupillées, nos habits d’exception et nos danses sans lendemain quand un crétin de mauvais augure, mieux informé, nous signalera que non, mille excuses, la fin n’est pas encore pour cette fois, allez rentrez chez vous, au turbin ou sous les ordres, mais filez, et que ça saute – bande de crétins, à continuer de prendre vos désirs pour des réalités.

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