Le pari risqué du socialisme de l’offre

Liêm Hoang-Ngoc  • 13 décembre 2012 abonné·es

D’aucuns présentent le « socialisme de l’offre » comme le nouvel horizon de la politique économique. Sa devise est résumée par le triptyque « équilibre budgétaire-compétitivité-flexisécurité ». Les arguments justifiant l’austérité budgétaire tournent autour de la ritournelle de « la dette qui pèse sur les générations futures ». Ils font écho aux modèles d’équivalence ricardienne : anticipant qu’ils paieront moins d’impôts demain si la dette diminue, les agents se remettront à dépenser et entreprendre. Ainsi, grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la compétitivité se redresserait dès lors que les taux de marge des entreprises, dégradés par un coût du travail excessif, seront rétablis. Enfin, la réforme du marché du travail permettrait aux entreprises d’adapter l’emploi aux fluctuations de la conjoncture. Elles pourraient alors maintenir leur taux de marge en cas de chute de la demande. La flexibilité de l’emploi favoriserait par ailleurs la mobilité des travailleurs vers les activités innovantes, tandis que la formation, octroyée aux chômeurs, leur permettra d’adapter leurs qualifications aux emplois de demain.

Cette doctrine ne manque pas de cohérence. Reste à savoir si elle est appropriée face à la crise et aux attentes de nos concitoyens. La rigueur budgétaire produit tout d’abord des effets différents selon qu’elle passe par des hausses d’impôts ou des baisses de dépenses. Les adeptes de l’équivalence ricardienne préconisent en priorité de réduire les dépenses, puisque l’objectif, in fine, est de baisser les impôts. Malheureusement, ils sous-estiment les effets récessifs de la baisse des dépenses, liés à l’existence du « multiplicateur keynésien ». Le FMI lui-même a réévalué la valeur du multiplicateur pour expliquer l’impact récessif plus important que prévu dans les pays sous assistance de la troïka. En France, avec un multiplicateur égal à 1,5, la baisse des dépenses de 10 milliards, prévue pour financer le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2014, provoquera une décroissance de 15 milliards (- 0,75 point de PIB), à laquelle il faudra additionner la ponction sur la consommation provoquée par le relèvement de la TVA (6 milliards). Cela compromettrait l’efficacité du pacte de compétitivité, a fortiori dès lors que le lien causal entre profit et investissement n’est pas avéré et qu’aucune conditionnalité n’est prévue.

Enfin, l’OCDE elle-même reconnaît qu’il n’existe aucun lien entre « législation protectrice de l’emploi » et performances économiques. Dès lors, « l’assouplissement du contrat de travail » aura pour effet de précariser l’emploi et de réduire le revenu d’un nombre croissant de travailleurs. Alors que l’État est assujetti à la rigueur et que le patronat mène campagne pour réduire le coût du travail, les « partenaires sociaux » ne pourront financer le volet « sécurité » de la « flexisécurité » par une hausse des cotisations sociales. Il en résulterait une nouvelle contraction de la consommation, à l’instar de ce que l’on observe dans tous les pays ayant pratiqué les réformes structurelles du marché du travail. Le risque politique est évident : il n’est pas certain que nos salariés-citoyens acceptent une réduction de près de la moitié de l’impôt sur les sociétés et la mise en cause du modèle d’emploi à temps plein et à durée indéterminée.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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