À contre-courant / Le prochain cheval de Troie

Jean-Marie Harribey  • 7 février 2013 abonné·es

Après le Pacte budgétaire avalisant la baisse des dépenses publiques, le choc de compétitivité distribuant 20 milliards d’euros aux entreprises, l’accord sur l’emploi consacrant la précarité, quel sera le prochain cheval de Troie de ceux qui ne croient pas à la lutte des classes puisqu’ils la gagnent ? Le Medef a soumis aux syndicats un projet de réforme des régimes complémentaires Agirc (pour les cadres) et Arrco (pour tous les autres salariés du privé) pour diminuer le pouvoir d’achat du point servant à calculer la pension complémentaire. Du 1er avril 2013 jusqu’en 2016, la valeur du point de pension serait relevée 1,5 point de pourcentage de moins que la hausse des prix ; et avec 1 point de pourcentage de moins à partir de 2017. Les pensions de réversion passeraient de 60 à 56 % de la retraite complémentaire du conjoint décédé, à 60 ans au lieu de 55 ans actuellement dans l’Arrco. Les femmes déjà pénalisées au travail et à la retraite apprécieront ! Et le Medef préconise un recul de l’âge de la retraite complémentaire d’un trimestre par an à partir de 2019.

Pendant ce temps, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié deux rapports. Le premier échafaude les hypothèses économiques et démographiques à l’horizon 2060 (1). Nous sommes en pleine crise et, alors que rien ne laisse présager qu’on va en sortir, le COR prévoit que la croissance et l’emploi redémarreront fortement après 2013 et que la tendance se poursuivra pendant toute la décennie. Il raisonne comme si les plans d’austérité draconiens imposés partout en Europe ne bloquaient pas durablement l’activité économique. Le COR croit qu’on a affaire à une crise conjoncturelle, alors qu’elle est de caractère systémique, notamment à cause de la contrainte écologique qui implique que les Trente Glorieuses ne reviendront pas. Cette contradiction est illustrée par le fait que le COR postule qu’il n’y aura plus de RTT au cours du prochain demi-siècle, à rebours de toute l’histoire sociale. Cela oblige à parier sur une croissance économique forte pour pouvoir compenser la hausse de la productivité et réduire le chômage. Cela n’empêcherait pas la baisse des pensions car « la durée d’assurance validée aurait tendance à diminuer entre la génération 1955 et les générations nées dans les années soixante-dix, en dépit d’un âge de départ de plus en plus tardif ».

Évidemment, le COR anticipe que les régimes de retraite seront déficitaires sauf si la croissance est forte. Il étudie donc quel arbitrage pourrait être rendu entre les modifications du niveau des pensions, de l’âge de départ en retraite et des cotisations. Le premier levier est prévu à la baisse et le deuxième à la hausse. Quant au troisième, il peut être utile… si on accroît le taux de cotisations dites salariales. Autrement dit, se dessine le pire des scénarios pour servir de feuille de route au gouvernement : une incantation à une croissance mythique ; un abandon pour l’éternité de toute RTT et, au contraire, une augmentation de la durée du travail sur l’ensemble de la vie ; une baisse des pensions à mesure que la proportion retraités/cotisants augmente. Cela signifie que la répartition de la valeur ajoutée restera figée en faveur du capital. Quand se réveille-t-on ?

Économie Travail
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